Si l’étonnante résistance ukrainienne, avec l’appui de l’Ouest, a empêché la Russie de remporter des gains rapides au début de l’invasion de l’Ukraine, l’armée de Moscou progresse peu face à des forces ukrainiennes encore combatives et reste en quête de succès militaires susceptibles d’être convertis en bénéfices politiques, selon les experts.

Un échec russe en guise de prologue
De l’avis de nombre d’observateurs occidentaux, les Russes ont raté leur entrée en guerre en présumant d’un faible résistance de leur adversaire et d’une victoire rapide, et en négligeant leurs besoins logistiques. " Le manque d’efficacité de la puissance de combat russe et la vigueur de la résistance militaire ukrainienne sont une véritable surprise ", soulignent Philippe Gros et Vincent Tourret dans une note de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Après avoir échoué à établir leur supériorité aérienne dans le ciel ukrainien, les Russes n’ont pas engagé d’opération majeure depuis début mars et se heurtent à une défense ukrainienne vivace, y compris aux abords de la capitale, Kiev. " L’invasion russe est au point mort sur tous les fronts ", estimait jeudi le ministère de la Défense britannique dans un point de situation.

Si les Russes ont lancé le siège de plusieurs villes au nord-est (Sumy, Kharkiv) et au sud-est (Marioupol) et coupé leur ravitaillement, la bataille de Kiev, elle n’a pas commencé, malgré les bombardements réguliers qui ciblent la capitale. L’armée russe n’a pas terminé sa manœuvre d’encerclement. Et la prise de cette ville de 2,8 millions d’habitants " nécessiterait probablement un volume de forces de 150 à 200.000 hommes ", estiment les experts de la FRS, en rappelant la nécessité d’un écrasant rapport de force pour combattre en milieu urbain, où l’avantage y est toujours au défenseur.

Une supériorité russe qui " m’est pas remise en cause "

Toutefois, malgré les difficultés rencontrées sur le terrain, " la supériorité militaire russe n’est pas remise en cause ", souligne une source militaire occidentale. " La pause opérationnelle que nous observons permet aux forces russes de se régénérer, mobiliser des renforts pour se relancer, entamer une deuxième phase ". D’après le Pentagone, l’ensemble des 150.000 militaires russes mobilisés pour ce conflit sont engagés sur le théâtre ukrainien. Et les pertes sont lourdes. Selon les estimations du renseignement américain citées par le New York Times, Moscou aurait perdu 7.000 hommes en trois semaines, ce qui représente plus de 300 morts par jour sur le champ de bataille.

Si ces chiffres sont à manier avec précaution, il n’en reste pas moins que l’armée russe, engagée depuis le 24 février, a besoin de se régénérer pour durer. En quête de sang neuf, Moscou, qui a promis à sa population de ne pas recourir aux conscrits, mobilise ses réservistes et a récemment lancé une campagne de recrutement auprès des Syriens.

" Les généraux russes commencent à manquer de munitions et de troupes. D’après le Pentagone 50% des capacités de combat russes sont engagées en Ukraine. Au pic de notre engagement en Irak et en Afghanistan, l’armée américaine était engagée à hauteur de 29%, et c’était très difficile à maintenir ", souligne le général américain en retraite Ben Hodges, du Center for European Policy Analysis (CEPA) à Washington.

10 jours décisifs

Ainsi, " les 10 prochains jours seront décisifs ", juge-t-il en appelant l’Occident à " accélérer et intensifier le soutien que nous apportons à l’Ukraine ". Dans ce contexte, quelles sont les hypothèses tactiques les plus probables côté russe dans les semaines qui viennent? Selon l’historien militaire français Michel Goya, " deux points de déblocage possibles à court terme: face à Marioupol et face à l’armée ukrainienne du Donbass ". Selon l’état-major français, les Russes pourraient également tenter d’encercler dans une poche les 40.000 militaires ukrainiens déployés sur le front est, en prenant la ville de Dnipro, qui constitue " un point de passage stratégique entre l’ouest et l’est " et où l' "on pressent un mouvement convergent de troupes russes ". " Cela permettrait de couper en deux l’armée ukrainienne, ça a un vrai sens au niveau militaire " soit " pour provoquer son effondrement, ou être en position de force dans les négociations ", fait valoir le colonel Pascal Ianni.

L’autre hypothèse concerne Marioupol. La ville portuaire stratégique sur la mer d’Azov est assiégée et bombardée sans relâche depuis plus de deux semaines. Malgré l’évacuation de 20.000 civils en début de semaine, quelque 300.000 personnes sont encore prises au piège, privées d’électricité et d’eau courante. Prendre le contrôle de Marioupol permettrait aux Russes d’établir une continuité géographique entre les territoires séparatistes prorusses du Donbass et la péninsule de Crimée, annexée en 2014.

Les forces ukrainiennes essuient également des pertes mais sont jusqu’ici parvenus à infliger des pertes matérielles et humaines importantes aux Russes, en particulier grâce à une défense antiaérienne performante. L’armée du président Zelensky bénéficie en outre d’un approvisionnement important en armes antichar et en missiles anti-aériens de la part de plusieurs pays de l’Otan.

Dans ce contexte, il est crucial pour l’armée ukrainienne de préserver ses voies d’approvisionnement en provenance de l’Ouest. Or Moscou a lancé ces derniers jours trois frappes dans l’ouest de l’Ukraine, jusqu’alors relativement épargnée. L’une de ces frappes a pris pour cible la base militaire Yaroviv, à 20 km de la frontière polonaise, où transitent une partie des équipements donnés par les Occidentaux aux forces ukrainiennes.

Avec AFP