Complètement enlisée dans la guerre qu’elle mène au Yémen depuis sept ans, l’Arabie saoudite en vient à profiter de la guerre en Ukraine pour obtenir un nouveau soutien international. L’Occident l’exhorte d’ouvrir ses vannes à pétrole. Jusqu’alors peu encline à le faire, elle pourrait bien avoir trouvé ses conditions.

L’Arabie saoudite, premier pays exportateur de pétrole brut au monde, cherche à exploiter la guerre en Ukraine pour faire pression sur les Occidentaux en vue de régler le conflit interminable et dévastateur au Yémen, où elle combat les rebelles Houthis, selon des experts. Sept ans après les premières frappes le 26 mars 2015 pour appuyer le gouvernement yéménite face à ces rebelles proches de l’Iran, l’intervention militaire pilotée par Ryad a montré ses limites sur le terrain et accentué l’une des pires crises humanitaires au monde.

Un bâtiment de Sanaa, la capitale yéménite, détruit par une frappe saoudienne (AFP)

Dans un contexte de flambée des prix de l’or noir depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, l’Arabie saoudite est pressée par les puissances occidentales d’augmenter sa production pour calmer les marchés, ce à quoi la monarchie à la tête de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a résisté pour le moment.

" La crise ukrainienne donne la possibilité à l’Arabie saoudite d’utiliser un levier important, le pétrole, pour faire pression sur de grands pays comme les Etats-Unis ", souligne l’analyste saoudienne, Najah Al-Otaibi.

Proche partenaire de Ryad, l’administration américaine a progressivement pris ses distances avec le conflit au Yémen, jusqu’à retirer les Houthis de la liste des " organisations terroristes ", afin de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire, dont dépendent les trois quarts de la population.

Pour Najah Al-Otaibi, l’Arabie saoudite n’ouvrira pas davantage les robinets du pétrole tant qu’elle n’obtiendra pas une position ferme contre les Houthis, qui l’attaquent régulièrement, c’est " une priorité pour le royaume ". Lundi 21 mars, l’Arabie a même fait monter la pression en évoquant le risque d’une baisse de sa production, au lendemain d’une série d’attaques des rebelles visant notamment une raffinerie du géant pétrolier Aramco.

Ryad a appelé la communauté internationale à " prendre ses responsabilités " pour protéger " la sécurité des approvisionnements pétroliers dans un contexte très sensible ". Ce ton plus alarmiste que celui adopté après les autres attaques pourrait être un message aux Occidentaux disant " Soutenez-nous pour qu’on puisse imposer nos termes en cas d’éventuel compromis avec les Houthis ", estime Elisabeth Kendall, chercheuse à l’Université d’Oxford.

La coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite, qui réunissait neuf pays en 2015, repose aujourd’hui essentiellement sur Ryad et, dans une moindre mesure, son allié des Emirats arabes unis. Son intervention au Yémen a permis de stopper l’avancée des Houthis dans le Sud et l’Est, mais pas de les déloger du Nord du pays, notamment de la capitale Sanaa prise en 2014.

Pour Elisabeth Kendall, " militairement, le conflit est aujourd’hui dans l’impasse ", alors que " les Houthis exercent leur pouvoir répressif (…) sur environ les deux tiers de la population ". " C’est une guerre d’usure qui épuise toutes les forces en présence ainsi que la population ", résume Abdulghani Al-Iryani du Sanaa Center For Strategic Studies.

Selon l’ONU, le conflit a causé la mort de près de 380.000 personnes, dont une majorité de décès indirectes liés à la faim, aux maladies et au manque d’eau potable. La faim touchera les deux tiers de la population cette année si le conflit se poursuit, a prévenu mercredi 23 mars l’organisation Oxfam.

Un bébé yéménite souffrant de mal nutrition (AFP)

En Arabie saoudite, où des dizaines de personnes ont péri dans les attaques des Houthis depuis 2015, le coût du conflit est essentiellement économique. La chercheuse Elisabeth Kendall souligne aussi l’impact des attaques répétées de missiles et drones en Arabie saoudite, et plus récemment aux Emirats, sur la réputation de ces deux pays qui se disent sûrs en matière d’investissements. " L’Arabie saoudite pourrait être encline à un retrait du Yémen. Mais elle doit pouvoir le présenter comme une victoire, et ne pas se retrouver avec un Etat contrôlé par les Houthis à sa frontière sud ", ajoute-t-elle.

Pour le moment, les rebelles ne semblent pas disposés à partager le pouvoir, affichant une intransigeance que certains imputent à leur position de force sur le terrain, et d’autres au manque de fermeté de la communauté internationale à leur égard.

Les initiatives de paix menées par l’ONU ont conforté les Houthis " dans leur agressivité militaire et leur entêtement politique ", estime Fatima Alasrar, du Middle East Institute basé à Washington. " Pour l’instant, ils se contentent de demander un arrêt de l’intervention saoudienne, sans donner de garanties sur l’avenir du Yémen ou la sécurité de la région ", ajoute-t-elle.

Avec AFP

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