Un brouillage russe qui sème partout la confusion. Sur le terrain, dans les déclarations, les intentions et la diplomatie. Ce brouillage serait-il un acte délibéré ou une conséquence de problèmes plus graves qui touchent la chaîne de commandement?

Les négociateurs russes et ukrainiens se sont séparés mardi à Istanbul sur une note d’espoir. La délégation russe a parlé de " discussions substantielles " pour qualifier la généreuse offre ukrainienne. L’armée russe a même déclaré vouloir se concentrer sur l’est et cesser ses activités ailleurs. Rien de ça ne s’est produit mercredi. Seule bonne nouvelle, Moscou a accepté d’évacuer les malheureux habitants de Marioupol, la ville-martyre, sous la supervision de l’Onu et du CICR. C’est justement la situation à Marioupol qui a été longuement citée dans le rapport de la haute commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, Michelle Bachelet, qui a fait état de crimes de guerre commis par l’armée russe à grande échelle.

A Washington, la Maison-Blanche a étalé dans la soirée les notes déclassifiées des services de renseignement, qui font état d’un problème plutôt structurel. Le président Poutine serait mal informé et coupé de son état-major envers qui il est furieux. Il les tient pour responsables de l’enlisement et ses relations avec les généraux se dégradent. En contrepartie, personne dans son entourage proche n’ose lui communiquer les mauvaises nouvelles.

Une chose est sûre, il commence à manquer d’argent, car il a assuré le chancelier allemand qu’il est toujours possible de payer le gaz russe en euros, " pour le moment ", même s’il a juré plus tôt qu’il n’accepte désormais que des roubles.

Enfin, une nouvelle victime collatérale de la guerre en Ukraine, mais en France cette fois, le patron de la DRM, la Direction des renseignements militaires, a été remercié par sa hiérarchie. Le général Vidaud n’avait pas donné satisfaction avant et pendant la guerre.

Poutine mal informé et coupé de son état-major

Le président russe Vladimir Poutine est mal informé du déroulement de la guerre en Ukraine, et ses relations avec son propre état-major se sont dégradées, a assuré mercredi la Maison Blanche, sur la foi de renseignements américains déclassifiés.

" L’un des talons d’Achille des autocraties est que dans ces systèmes, il n’y a plus personne qui dise la vérité au pouvoir en place, ou qui ait la possibilité de le faire. Et je pense que c’est un phénomène que nous voyons maintenant en Russie ", a commenté le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, en voyage en Algérie.

" Nous pensons que Poutine est mal informé (…) sur les mauvaises performances de l’armée russe et sur la sévérité de l’impact des sanctions sur l’économie russe parce que ses hauts conseillers ont peur de lui dire la vérité ", a encore déclaré la directrice de la communication de l’exécutif américain, Kate Bedingfield, confirmant des informations données plus tôt par un haut responsable américain sous couvert d’anonymat.

" Poutine ne savait même pas que son armée recrutait et perdait des conscrits en Ukraine, ce qui démontre une rupture claire dans le flux d’informations fiables parvenant au président russe ", avait indiqué ce responsable.

La Maison Blanche diffuse ces informations sur fond d’interrogations sur la relation entre le président russe et son ministre de la Défense Sergueï Choïgou.  Ce dernier a fait une apparition publique samedi après deux semaines d’absence, qui avaient donné lieu à toutes sortes de spéculations, y compris sur la santé du ministre.  Cette absence médiatique avait d’autant plus surpris que Sergueï Choïgou est d’ordinaire un visage familier des écrans de télévision.  Il est par ailleurs considéré comme un proche du président russe.

L’Onu accuse la Russie de crimes de guerre

A Genève, au 34e jour du conflit, la haute commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, Michelle Bachelet, a évoqué mercredi " des crimes de guerre " commis en Ukraine dans un long réquisitoire contre les actions menées pour l’essentiel par l’armée russe depuis l’invasion du 24 février.

L’ancienne présidente du Chili n’a laissé aucun doute sur le fait qu’elle estime que la Russie est la principale fautive même si elle n’a pas totalement dédouané les forces ukrainiennes.

Mme Bachelet a rappelé pour sa part que les forces russes ont attaqué et bombardé de nombreuses villes en Ukraine et des infrastructures de santé.  " La terreur et l’agonie vécue par le peuple ukrainien sont ressenties dans le monde entier. Il veut que la guerre s’arrête, revenir à la paix, la sécurité et la dignité humaine. Et il est grand temps que leur appel soit entendu ", a-t-elle ajouté.

Mme Bachelet a souligné que ses services avaient " des allégations crédibles, selon lesquelles les forces armées russes ont utilisé des armes à sous-munitions dans des zones peuplées au moins 24 fois ".  Mme Bachelet a aussi dressé un tableau détaillé des attaques contre les structures de santé. Quelque 77 ont été endommagées, dont 50 hôpitaux et une dizaine de ces structures ont été totalement détruites.

Mais elle estime que le nombre réel " est probablement considérablement plus élevé ".

C’est aussi le cas pour le nombre de civils tués, dont le Haut Commissariat tient un décompte précis depuis le 24 février.  Selon ces chiffres, au 29 mars, 1.189 civils, y compris 98 enfants sont morts en Ukraine.

Un bilan très inférieur à la réalité, ses équipes n’ayant pas accès directement aux endroits les plus exposés comme Marioupol (sud-est de l’Ukraine), où le Haut Commissariat a repéré la présence de fosses communes.

 

Un geste russe envers Marioupol, la ville-martyre

A Marioupol ville portuaire stratégique du sud-est de l’Ukraine, sur la mer d’Azov, quelque 160.000 civils demeurent bloqués sous les bombes et confrontés à " une catastrophe humanitaire ", vivant terrés dans des abris sans électricité et manquant de nourriture et d’eau, selon des témoignages.

Dans un communiqué publié mercredi soir, le ministère de la Défense russe a annoncé avoir décidé d’y instaurer un " régime de silence " à partir de jeudi à 10h00 (7h00 GMT) afin d’évacuer des civils via un couloir humanitaire vers Zaporojie, à quelque 250 km au nord-ouest, avec une étape par le port de Berdiansk.  " Pour que cette opération humanitaire réussisse, nous proposons de la mener avec la participation directe de représentants " de l’ONU et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), ajoute le texte.

Selon la mairie, les forces russes ont procédé à l’évacuation forcée vers la Russie d’une maternité, emmenant " plus de 70 personnes, des femmes et des membres du personnel médical ". Au total, plus de 20.000 habitants de Marioupol ont été évacués " contre leur gré " en Russie, affirme la municipalité.

Revirement russe sur l’efficacité des pourparlers

Semblant revenir sur des annonces faites par Moscou à l’issue de discussions entre les belligérants mardi à Istanbul, le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov a dit ne pas pouvoir " faire état de quoi que ce soit de très prometteur ou d’une percée quelconque ".  Ces paroles tranchent avec celles, beaucoup plus positives, de responsables russes présents la veille à Istanbul.

" La guerre continue. Pour l’instant, il n’y a à ma connaissance ni percée ni nouveauté ", a déclaré mercredi soir le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian.  " Les négociations avec la délégation russe reprendront le 1er avril en ligne ", a de son côté affirmé le responsable de la délégation ukrainienne David Arahamiya à la télévision.

Le porte-parole du ministère ukrainien de la Défense, Oleksandre Motuzyanyk, avait souligné plus tôt avoir constaté le départ de certaines unités de Kiev et de Tcherniguiv, mais " pas de retrait massif de troupes russes de ces zones ", contrairement à la promesse faite la veille par Moscou de " réduire radicalement " son activité militaire dans cette zone.

Sur ce sujet, " nous ne croyons personne, pas une seule belle phrase ", a affirmé dans la soirée le président ukrainien Volodymyr Zelensky, ajoutant que les forces russes se regroupaient pour attaquer la région du Donbass. " Nous ne cèderons rien. Nous nous battrons pour chaque mètre de notre territoire ", a-t-il dit.

Entretien téléphonique Biden-Zelensky

Le président américain Joe Biden a discuté pendant près d’une heure par téléphone avec son homologue ukrainien, notamment des capacités militaires " supplémentaires " nécessaires pour aider l’armée ukrainienne à " défendre son pays ", a indiqué la Maison Blanche en soulignant l’effet " déterminant " des armes fournies par les Américains sur le cours du conflit.

Sur Twitter, M. Zelensky a indiqué avoir fait le point avec M. Biden sur " la situation sur le champ de bataille " et sur les négociations et avoir parlé entre autres de certains besoins spécifiques de son pays en matière de " soutien défensif ".

Le Premier ministre britannique Boris Johnson a de son côté appelé à " continuer d’intensifier les sanctions " jusqu’au départ de tous les soldats russes.

Pas d’accalmie

Tcherniguiv, dans le nord de l’Ukraine, a été " bombardée toute la nuit " de mardi à mercredi, selon le gouverneur régional Viatcheslav Tchaous. Après Marioupol, Tcherniguiv, qui comptait 280.000 habitants avant la guerre, est la ville la plus durement frappée par les bombardements depuis le début de la guerre le 24 février.

Mais Irpin, dans la banlieue nord-ouest de Kiev est désormais " à 100% contrôlée par l’armée ukrainienne ", a affirmé mercredi son maire, Oleksandre Markouchine. Il a toutefois appelé ses concitoyens à " ne pas revenir " pour l’instant car cette ville, à moitié détruite, subit toujours des bombardements et reste " dangereuse ".

" Environ 200 ou 300 personnes sont mortes malheureusement " à Irpin depuis le début des hostilités, a-t-il déploré.

L’armée ukrainienne a par ailleurs repris le contrôle d’une autoroute stratégique reliant Kharkiv à Tchougouïv, dans l’est de l’Ukraine, ont constaté mercredi des journalistes de l’AFP. " Il y a des cadavres russes éparpillés partout ", a assuré à l’AFP un officier du renseignement ukrainien.

Dans le nord-est, Trostyanets, qui compte en temps normal 20.000 habitants, a été reprise le week-end dernier par les forces ukrainiennes. Après un mois d’occupation, les Russes sont partis sans combattre ou presque, selon de multiples témoignages recueillis par l’AFP dans cette ville en partie détruite.

Retrait russe de Tchernobyl

Les forces russes commencent à se retirer du site nucléaire de Tchernobyl, dont elles avaient pris le contrôle dès le premier jour de l’invasion de l’Ukraine le 24 février, a indiqué mercredi un haut responsable du Pentagone.

La sécurité des centrales nucléaires d’Ukraine demeure un autre problème clé. Le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, s’est rendu mercredi dans celle de Ioujno-Oukrainsk, dans le sud, promettant au personnel " un soutien efficace en cette période extrêmement difficile ".

Depuis le début de l’offensive militaire russe, M. Grossi ne cesse de mettre en garde contre les dangers de cette guerre, la première à se dérouler dans un pays doté d’un vaste parc nucléaire, ainsi que de plusieurs dépôts de déchets nucléaires.

Les autorités ukrainiennes ont par ailleurs accusé les forces russes d’avoir tiré mercredi des obus au phosphore sur la petite ville de Marinka, dans l’est de l’Ukraine. Kiev affirme que 300.000 km2, soit environ la moitié du territoire ukrainien, ont d’ores et déjà été " pollués " par les munitions utilisées par les forces russes depuis le début de l’invasion.

Quatre millions de réfugiés à l’étranger

En cinq semaines de guerre, plus de quatre millions d’Ukrainiens ont été contraints de fuir leur pays, a annoncé le Haut Commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR) à Genève. L’Europe n’avait pas connu de tels flots de réfugiés depuis la deuxième guerre mondiale.

Au total, plus de dix millions de personnes, soit plus d’un quart de la population, ont dû quitter leur foyer.

Roubles ou euros?

En représailles aux sanctions occidentales, Moscou exige que les Européens règlent leurs importations de gaz russe en roubles. Mais selon le gouvernement allemand, le président russe Vladimir Poutine a assuré mercredi au chancelier Olaf Scholz que les sociétés ayant déjà signé des contrats d’achat de gaz russe pourraient continuer à payer en euros.

Le chef du renseignement militaire français remercié

Victime collatérale de la guerre en Ukraine, le patron de la Direction des renseignements militaires (DRM) français, le général Eric Vidaud, va quitter ses fonctions suite notamment à ce qui a été jugé comme une insuffisance de ses services sur l’invasion russe en Ukraine. Une source interne au ministère des Armées a évoqué des " briefings insuffisants " et un " manque de maîtrise des sujets ".

Début mars, peu après l’invasion de l’Ukraine par les forces russes, le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, avait admis dans le journal Le Monde des divergences d’analyses entre Français et Américains sur la question d’une possible invasion de l’Ukraine.

Les Américains ont obtenu du renseignement de très grande qualité sur les préparations russes et avaient décidé, plusieurs semaines avant l’invasion, d’en publier une partie pour tenter notamment de faire pression sur le président russe Vladimir Poutine.

Avec AFP