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Le sommet de la Ligue arabe qui s’est tenu à Jeddah le vendredi 19 mai a attiré l’attention du monde arabe et, dans une plus large mesure, de la communauté internationale. Cet événement revêtait une importance particulière, en raison notamment du "come back" du président syrien Bachar Al Assad après la réintégration de son pays au sein de l’organisation panarabe. Le sommet a été l’occasion pour les dirigeants arabes de discuter de plusieurs questions d’actualité brûlante, dont le dossier libanais. Parmi les sujets abordés figuraient la crise de la vacance présidentielle et la question pressante des réfugiés syriens.

Dans le communiqué final du sommet de Jeddah, la clause relative au Liban souligne l’appel de la Ligue arabe aux responsables libanais à élire un président et former un gouvernement le plus rapidement possible. Ces mesures sont considérées essentielles pour mettre en œuvre les réformes nécessaires afin de sortir de la crise profonde que traverse le pays.

Les clauses qui concernent le Liban s’inspirent de la feuille de route arabe que le ministre koweïtien des Affaires étrangères avait présentée aux responsables libanais en janvier 2022 au nom de la communauté arabe, traçant la voie à suivre pour relancer les relations avec le monde arabe. Sans compter que le volet libanais dans le communiqué final intervient dans le sillage de l’initiative du groupe des Cinq (Arabie Saoudite, Qatar, France, États-Unis et Égypte) qui se sont réunis à Paris début 2023 pour inciter les acteurs politiques libanais à élire un président au plus vite et à mettre à exécution le processus des réformes. Une chose paraît certaine dans ce contexte: pas de cadeau pour le Liban!

Rappelons que pour parvenir à une sortie de crise durable, le Liban dépend fortement de l’aide de la communauté internationale, en particulier du Fonds Monétaire International (FMI) qui exige des réformes structurelles. De plus, une part importante de cette aide est attendue des pays du Golfe qui ont joué un rôle majeur dans les précédentes levées de fonds, notamment lors des conférences dites " Paris 1 " (2001), " Paris 2 " (2002) " Paris 3 " (2007) et " Cèdres " (2018). Dans ce cadre, la présence du Premier ministre sortant Najib Mikati au sommet reflèterait ses efforts pour tenter, tant bien que mal, d’attirer des investissements et de mobiliser un soutien financier.

En ce qui concerne le dossier présidentiel, il est évident que les grandes puissances mondiales et régionales y jouent un rôle significatif, notamment l’Arabie Saoudite, hôte du sommet de Jeddah.

L’Arabie Saoudite semble s’être, en apparence, désengagée, en soulignant qu’elle n’avait pas de candidat précis, qu’elle n’opposait un véto contre aucun candidat, et qu’elle s’en tenait au profil du président défini déjà par le groupe des Cinq. Cependant, il est possible que l’Arabie Saoudite campe sur ses positions sans les afficher publiquement. Preuve en est le déplacement récent de l’ambassadeur saoudien Walid Al Bukhari chez le candidat de l’opposition Michel Moawad, après la visite de Sleiman Frangié chez M. Bukhari qui n’a pas souhaité faire lui-même le déplacement.

Pourquoi cette volte-face saoudienne, du moins officiellement ? Peut-être pour éviter d’être confrontée à des problèmes avec l’Iran, notamment depuis l’accord de Pékin structurant la normalisation des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Le Liban, où Iran et Arabie Saoudite sont en perpétuel désaccord, pourrait payer le prix des évolutions géopolitiques, à l’ombre d’une mainmise, toujours plus encombrante, du Hezbollah sur le pays, empêchant tout processus démocratique sous la menace des armes.

La France, en contrepartie, prône un compromis en soutenant l’arrivée à la Magistrature suprême du candidat du tandem chiite, Sleiman Frangié, en contrepartie de la désignation au poste de Premier ministre de l’ancien ambassadeur Nawaf Salam. Cette approche pourrait potentiellement renforcer l’influence du Hezbollah et, par conséquent, accroître la mainmise iranienne sur le pays. D’autant que le président de la République est élu pour un mandat de six ans, tandis que le sort d’un chef de gouvernement (si le cabinet venait à être formé) est tributaire du tiers de blocage au sein du Conseil des ministres; or ce tiers de blocage est potentiellement détenu par les forces du 8 Mars.

Sleiman Frangié s’est entretenu à Paris le 31 mars dernier avec Patrick Durel, chef de la cellule de crise en charge du dossier libanais à l’Élysée. Plusieurs sources concordantes affirment que le candidat du tandem chiite aurait présenté des "garanties" selon lesquelles il ne réclamerait pas un tiers de blocage et n’entraverait pas l’action du gouvernement. Rien ne peut cependant être acquis!

Enfin, dans un contexte de rapprochement entre les pays arabes et le régime syrien, marqué notamment par la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, la normalisation des relations diplomatiques entre le Liban et la Syrie ne semble pas imminente. Cette situation est préoccupante dans le contexte présent du fait des dossiers importants qui restent en suspens et qui nécessitent une solution urgente. Tel est le cas de la délimitation des frontières entre les deux pays. De plus, la crise des déplacés syriens (citée dans le communiqué final du sommet de Jeddah) constitue un défi croissant pour le Liban en raison de la crise économique sans précédent qui sévit depuis 2019. Le problème réside essentiellement dans le fait que la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe s’est effectuée sans conditions strictes, alors que des dossiers d’une importance capitale demeurent en suspens.

En conclusion, malgré la participation du Liban au sommet de Jeddah, il est évident que la cause libanaise a été reléguée au second plan, face à d’autres dossiers brûlants considérés comme plus prioritaires, tels que le conflit au Soudan, les tensions en Libye ou encore la normalisation avec la Syrie. Aujourd’hui, le monde arabe demeure très critique à l’égard de la façon avec laquelle le Liban est géré, à tel point qu’aujourd’hui des actions concrètes sont plus que jamais nécessaires, plutôt que les promesses en l’air. Preuve en est, la nouvelle approche saoudienne vis-à-vis du Liban qui se résume en trois mots : juger sur pièce.