L’immunité spécifique anti-Covid-19 n’est pas exclusivement liée au taux d’anticorps qui s’estompent avec le temps, sans pour autant compromettre les défenses immunitaires contre la maladie. Elle englobe également une immunité cellulaire médiée par un type de globules blancs, baptisés lymphocytes T. Loin de toute controverse scientifique, les deux doses de primo-vaccination, ainsi que la dose de rappel, demeurent primordiales.

" As-tu fait le test d’anticorps? " Une question qui revient souvent lors des conversations, les gens étant obnubilés par l’immunité qu’ils auraient développée après une infection au coronavirus ou la vaccination anti-Covid-19. Si les anticorps ont réussi à accaparer toute l’attention tant des médecins que de la population, il n’en reste pas moins qu’ils ne constituent pas la seule composante de l’immunité antivirale. Celle-ci est en fait plus complexe et englobe d’une part l’immunité humorale, c’est-à-dire celle conférée par les anticorps (appelés immunoglobulines ou Ig) sécrétés par les lymphocytes B à la suite d’une infection ou d’une vaccination, mais d’autre part l’immunité cellulaire. Cette dernière est principalement médiée par les lymphocytes T, un type de globules blancs qui reconnaissent spécifiquement des antigènes présents à la surface des cellules infectées. Ces lymphocytes éliminent alors directement les cellules infectées avant que le virus ne soit répliqué, ou sécrètent des substances chimiques permettant le recrutement et l’activation d’autres cellules immunitaires qui se chargeront de détruire le microorganisme en question. Ces cellules T jouent également un rôle primordial dans le contrôle de la réponse humorale et donc de la sécrétion des anticorps.

Covid-19: une double immunité

Jumelée aux différentes mesures préventives de santé publique, la vaccination constitue, pour le moment, la stratégie la plus efficace pour entraver la circulation du SARS-CoV-2 et prévenir ou, du moins, limiter le risque de développer une forme grave de la maladie, selon les données cliniques. Cependant, une baisse des taux d’anticorps anti-SARS-CoV-2 a été largement signalée, en particulier quatre à six mois après la fin du cycle de vaccination primaire (les deux premières doses) contre le coronavirus. En effet, selon une étude publiée en décembre 2021, dans The New England Journal of Medicine, l’analyse des données sérologiques de 4.868 personnes vaccinées a montré une diminution des concentrations d’IgG et d’anticorps neutralisants, comprise entre 37 et 46%, six mois après la seconde vaccination. Face au déclin rapide de ces taux, les autorités scientifiques, ayant adopté la troisième dose, étudient la possibilité et la nécessité de l’administration d’une quatrième dose de vaccin. Parallèlement, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, avait averti le 22 décembre au cours d’un point de presse à Genève que " des programmes de rappel sans discernement ont toutes les chances de prolonger la pandémie, plutôt que d’y mettre fin (…) en offrant au virus plus de possibilités de se répandre et de muter ". Quid donc du rôle des lymphocytes T?

À la fin des années 60, la revue scientifique britannique The Lancet décrivait le cas d’un enfant atteint d’agammaglobulinémie, un déficit immunitaire congénital caractérisé par l’absence (ou presque) des lymphocytes B et ainsi des immunoglobulines, qui a surmonté une infection par le virus de la rougeole et n’a pas été réinfecté par la suite. Cela montre clairement que, malgré le déficit de l’immunité humorale, les autres protagonistes du système immunitaire, y compris les lymphocytes T, ont réussi à éliminer l’infection et à établir une mémoire immunitaire, sans l’aide d’anticorps. Par ailleurs, l’importance des cellules T dans la lutte contre le SARS-CoV-1 (le virus à l’origine de l’épidémie de SRAS de 2002 à 2004) et l’établissement de la mémoire immunitaire, a également été bien documentée et discutée dans une série d’articles, publiés bien avant le surgissement du coronavirus. De plus, il a été rapporté en avril 2020 que deux patients atteints d’agammaglobulinémie ont développé une pneumonie à la suite d’une infection au coronavirus. Bien que dépourvus de lymphocytes B et donc d’immunoglobulines, ils sont parvenus à surmonter la maladie sans avoir besoin de soins intensifs ou d’assistance respiratoire. Au terme de cette étude, les chercheurs italiens ont conclu que cette observation " suggère que la réponse des lymphocytes T est probablement importante pour la protection immunitaire contre le virus, tandis que la réponse des lymphocytes B pourrait ne pas être essentielle ".

Les anticorps, une épée à double tranchant?

" Les vaccins sont en général fait pour stimuler à la fois les lymphocytes B et T, explique à Ici Beyrouth Josée Golay, chercheuse en immunologie et experte des anticorps. Ainsi, suite à la vaccination, mais aussi à l’infection, les réponses immunitaires humorale et cellulaire sont activées. Il est donc important d’étudier ces deux branches du système immunitaire. " Dans ce cas, pourquoi les anticorps ont-ils volé toute la vedette? D’après l’immunologiste italienne, " il est plus difficile d’évaluer la réponse des lymphocytes T, ce qui fait qu’il y a eu moins d’études qui se sont focalisées sur l’immunité cellulaire ". Laquelle des deux réponses immunitaires est donc la plus importante? " Je ne saurais répondre à cette question, poursuit le Dr Golay. Actuellement, nous sommes en train de mesurer, dans les laboratoires, des paramètres biologiques, mais nous ignorons si ces taux reflètent vraiment le niveau de protection contre la maladie. "

Et la chercheuse de préciser: " Il est clair qu’après l’administration du vaccin contre le Covid-19, il y a une induction de l’immunité humorale, mais est-ce que tous les anticorps secrétés sont protecteurs? La réponse est non ". Josée Golay explique dans ce cadre qu’il existe trois types d’anticorps: les anticorps dits neutralisants ou protecteurs, les anticorps non neutralisants et les anticorps dits facilitants, qui favorisent l’infection comme ceux rencontrés dans la dengue (également appelée " grippe tropicale "). Or dans le cas du coronavirus, aucune donnée scientifique n’a été publiée en faveur d’un mécanisme d’anticorps facilitants. De plus, en janvier dernier, lors d’une interview accordée au quotidien français Libération, Scott Halstead, l’un des découvreurs du phénomène de la facilitation de l’infection par anticorps, a affirmé qu’il n’existe aucune preuve que ceux qui sont fabriqués à la suite de la vaccination renforcent l’infection au coronavirus.

Haro sur une quatrième dose

" Le taux d’anticorps post-vaccination s’estompe progressivement avec le temps; une dose de rappel est donc préconisée, selon les recommandations actuelles ", explique à Ici Beyrouth Martino Introna, médecin-chercheur italien et expert en thérapie cellulaire. " Cependant, on est sûr aujourd’hui que les lymphocytes T sont d’une importance primordiale, d’une part pour la réponse immunitaire et d’autre part pour la production des anticorps, poursuit-il. Il serait donc important de mesurer également le niveau de l’immunité médiée par ces cellules. "

Le chercheur italien souligne, toutefois, que le problème réside dans le fait que ces tests ne sont pas disponibles dans les laboratoires d’analyse médicale. Au cas où ils le sont, les techniques de dosage sont très compliquées et les résultats finaux sont sujets à des fluctuations interlaboratoires, contrairement au dosage des immunoglobulines. " Une baisse du taux des anticorps anti-SARS-CoV-2 n’est donc pas synonyme de déclin de l’immunité anti-Covid-19, puisque les lymphocytes T assurent toujours des fonctions protectrices et jouent un rôle important dans le maintien des concentrations d’anticorps ", fait savoir le Pr Introna.

Qu’en est-il donc de la vaccination? " La vaccination joue aussi un rôle très important, répond-il. Mais la détermination de la nécessité d’une dose de rappel en fonction du taux des anticorps est quant à elle erronée. Les études montrent qu’il est bénéfique d’administrer jusqu’à trois doses de vaccins. Au-delà de ces doses recommandées, je trouve que l’administration exagérée de doses de rappel pourrait compromettre l’immunité antivirale. "