Sillonnant le monde depuis 1993 à l’occasion d’expos en solo et d’autres collectives, Catherine Cattaruza est une artiste visuelle et photographe, établie entre Paris et Beyrouth. Elle présente aux Rencontres de la photographie d’Arles son installation Je plie la terre (I am folding the land) au sein de laquelle elle expose le Liban tel qu’elle le voit. Un pays cartographié selon des lignes de failles sismiques qui correspondent allégoriquement à ses méandres socio-politiques.

Les thèmes de prédilection de l’artiste, qui a fait ses études à l’école des beaux-arts de Toulouse, explorent les notions du territoire, depuis son tracé jusqu’à la falsification de l’identité nationale, le fractionnement de la culture politique et les conditions d’après-guerre. Son œuvre artistique est construite autour de l’histoire du Liban. On y retrouve des interrogations en lien avec son histoire personnelle avec le Liban, marquée de départs forcés durant les crises majeures qui ont entrecoupé l’histoire moderne du pays comme la guerre civile de 1975-1990.

Le Liban est géographiquement parcouru par de grandes failles qui ont généré des séismes historiques dévastateurs, spécifiquement celui de 551 puis celui de 1202. Au niveau de son histoire politique, le Liban se situe au carrefour de plusieurs civilisations. Il a été occupé maintes fois, tout comme il a été le théâtre de plusieurs affrontements. Imprégnée par l’instabilité politique du Liban, l’artiste, à travers son travail, se questionne et questionne le public: ces violences seraient-elles une conséquence liée intrinsèquement à la géographie du pays? Elle établit un lien de causalité entre l’histoire de la politique du Liban et celle de ses séismes. Elle va arpenter les trois failles sismiques qui traversent le pays… Sa sensibilité à fleur de peau va la pousser à demander la nationalité libanaise. À la fin de la guerre civile, Catherine Cattaruzza retourne vivre au Liban. Elle va alors arpenter le pays, photographiant les paysages sur de vieilles pellicules achetées à Berlin. Pourquoi avoir choisi d’utiliser, près de trente ans plus tard, des pellicules datant de 1992? "C’est parce que c’est précisément dans ses années-là que s’est mis en place le système politique, économique et social qui a conduit à l’effondrement actuel de l’État libanais", explique-t-elle.

Catherine Cattaruzza a toujours interrogé les paysages avec des pellicules aux dates significatives. Le quotidien Le Monde a d’ailleurs parlé de son travail sur une série de photographies réalisées tout le long de l’infranchissable frontière entre le Liban et Israël. On trouve une certaine mélancolie dans sa façon de voir le Liban, un peu comme si la violence y était prédestinée compte tenu du caractère sismique des trois failles qui sillonnent son territoire. Avec ses cartes d’état-major et ses relevés géologiques, accompagnée du réalisateur de films documentaires Jean-Michel Vecchiet, elle parcourt inlassablement les failles.

Pour développer et mettre en place son installation à base de pellicules périmées, l’artiste photographie les sols, les roches, les vallées et les herbes, les monticules qui recouvrent les failles souterraines, ces "lignes de blessure de la terre", comme le dit si bien l’écrivaine Ryoko Sekiguchi – qui a signé avec le réalisateur Jean-Michel Vecchiet les textes du livre éponyme qui accompagne l’exposition de Cattaruzza.

Les images, qu’elle a tirées et développées dans un studio à Beyrouth avant de reprendre minutieusement chaque négatif en photo, dévoilent des paysages originaux aux couleurs intenses. Des couleurs qui donnent l’impression de venir des entrailles de la terre et qui nous rappellent que tout est éphémère. C’est sur de grands panneaux flottants longitudinaux que l’installation photographique est présentée, en avant-première et jusqu’au 2 septembre, aux Rencontres de la photographie d’Arles.

Dans une salle obscure, l’artiste éclaire la vingtaine de paysages qui reprennent le tracé de la faille sismique et dessinent schématiquement la carte du Liban. Des images silencieuses d’un monde qui tremble… comme la prédiction d’une rupture inévitable à venir. Car pour cette artiste qui "ne documente pas le territoire mais l’humanise" (dixit Jean-Michel Vecchiet), l’exposition Je plie la terre (I am folding the land) est à la limite de nos perceptions sensorielles.