Inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco pour la richesse de ses vestiges, Byblos a su se protéger de l’urbanisation chaotique qui ravage le littoral libanais en sauvegardant son port de pêche, son site romain et son château croisé. Cette antique cité ouverte sur la méditerranée où se sont succédé différentes civilisations représente ce que Fernand Braudel appelle "une mosaïque de toutes les couleurs".

C’est sur ce bout du littoral que s’est définitivement fixée l’Américaine d’origine, Alice Eddé. Elle a, de par sa passion pour les traditions libanaises, su en faire sa priorité. En dépit de tous les obstacles, elle poursuit vaille que vaille ses activités, encourageant les artisans et soutenant les producteurs locaux à travers sa participation aux marchés libanais sur la Côte d’Azur. Entretien avec Alice Eddé.

Depuis son retour au Liban en 2000 avec son mari Roger Eddé, elle a contribué à relancer l’artisanat et le savoir-faire ancestral en ouvrant plusieurs boutiques dans le vieux souk de Byblos, à donner leur chance aux femmes en quête d’un métier et à préserver le patrimoine historique de la ville: "Les artisans représentent les traditions du pays en question. On comprend les gens quand on regarde comment ils travaillent la paille, la terre cuite, le verre, le bois… Nous avons ouvert des boutiques en 2004 pour faire venir des artisans, mais l’idée d’un atelier dans un souk ne convenait pas aux mœurs des habitants. Nos boutiques vendent des produits made in Lebanon dont le label est une fierté qui dévoile le talent des Libanais. Je fais travailler des artisans de Jbeil, mais aussi de toutes les régions du pays. Rabih Keyrouz m’a encouragée à ouvrir la boutique artisanale Alice Eddé, Fashion, Garden & Home, basée sur mon amour pour les jardins. Des étrangers m’ont donné l’idée de la librairie Gebran’s Lebanon où il n’y a que des livres d’écrivains libanais ou sur le Liban. Mais aussi, d’autres boutiques où l’on vend des herbes, des épices, du miel et du savon…"

Elle revient, un brin nostalgique, sur ses nombreuses activités, dont certaines furent interrompues par la crise politico-économique, le Covid-19 et le pourrissement de l’État libanais: "J’étais très active au sein de l’ONG Via Appia, fondée par Raphaël Sfeir, ancien maire de Byblos, pour ce qui était des échanges entre  cuisiniers et pêcheurs libanais et italiens. Ils ont créé un lien entre Bari et Byblos. Nous avions aussi un marché hebdomadaire pour les agriculteurs et artisans de la région qui drainait un grand nombre de gens. J’allais chez les agriculteurs et les fermiers pour m’assurer de la qualité des produits, mais, depuis le Covid, le marché s’est arrêté. J’avais une équipe solide avec laquelle je travaillais, et malheureusement plusieurs sont partis pour l’étranger. Je me retrouve un peu seule." Avec la dévaluation de la livre libanaise, comment s’en sortent les producteurs locaux? "Il y a des aides d’Europe et des US Aid pour les apiculteurs. Mais les gens ont besoin d’être encouragés. Il faut changer la dynamique de l’économie et produire au Liban pour ne plus importer, mais exporter."

L’œil pétillant, Alice Eddé annonce la possibilité d’une reprise du grand marché à Byblos: "Nous avons été approchés par Souk Al Balad qui organise un marché hebdomadaire à Beyrouth et qui a proposé de le faire à Byblos. C’est à voir. Nous avons, au printemps, organisé un marché aux fleurs et un autre en juillet. Cela s’est fait de manière ponctuelle. Il faut rouvrir un grand marché à Byblos, tous les samedis, sur une base régulière. Nous travaillons dans ce sens."

Elle qui croit au potentiel créatif des Libanais va au-devant des autres et établit des relations de confiance et de cordialité : "Il y a des gens qui sont pleins d’énergie et d’idées. Je viens de rencontrer une dame à Fidar qui fabrique du miel et l’admirable Rania Younes qui a un marché de fleurs à Mkalles et travaille toute seule. Nous allons pouvoir faire quelque chose ensemble."

C’est d’ailleurs dans le cadre d’un projet UN Women qu’Alice Eddé, avec un groupe de femmes, a remis au goût du jour la vannerie artisanale que naguère des familles vivant sur le littoral avaient développée. Une artisane d’Amchit revenue des États-Unis initie des femmes au travail de la feuille de palmier. "Il n’y a malheureusement pas de transmission. Il manque un ministère de l’artisanat au Liban pour encourager le savoir-faire ancestral et soutenir les artisans."Anchor

Déterminée et confiante, elle nourrit à Eddé son village, l’un des projets qui lui tiennent à cœur à l’heure où le Liban n’en finit pas de régler la crise des déchets: le recyclage. "J’ai grandi en Allemagne et appris à ne rien gaspiller. Nous faisons à Eddé du recyclage avec une ONG, Eddé Environment Group. Nous frappons aux portes des maisons pour expliquer aux gens comment recycler les déchets et l’intérêt qu’ils ont à le faire. Nous travaillons aussi avec L’écoute, une ONG fondée par le père Jean-Marie Chami. Il a une équipe extraordinaire qui recycle tous les produits depuis vingt ans. Ce travail est effectué par des sourds qui sont rémunérés. J’envoie paperasses et papiers d’emballage pour les transformer en sacs à provisions. Il y a des petits noyaux exceptionnels au Liban. Malgré toutes les difficultés, je veux inclure le recyclage dans les activités de l’ONG Via Appia. Je ne lâche pas!"

Ses liens avec la Côte d’Azur ont, depuis bien des années, été tissés à travers la musique: "Je joue de la harpe. Il y a des années, j’invitais des harpistes de la Côte d’Azur à venir jouer à Byblos. Aujourd’hui, j’essaie de garder le lien avec les musiciens en proposant à l’Institut français de les inviter à Byblos où nous pouvons les loger." Ayant vécu à Antibes, c’est tout naturellement qu’elle a participé au week-end libanais tenu en juillet à Saint-Jean-Cap-Ferrat où un pacte a scellé l’amitié entre Byblos et Saint-Jean avec le projet de fonder une école de la mer. "J’ai fait participer 25 artisans au marché de Saint-Jean en emportant dans mes valises leurs créations. J’ai choisi des articles qui reflètent le Liban: des porte-clés, des serviettes et torchons brodés, des sacs en cuir, des t-shirts, des savons… J’avais un stand sur lequel les produits avec les noms des participants étaient exposés." Enthousiaste, Alice Eddé confirme sa participation aux prochaines journées libanaises organisées par Mon Liban d’Azur à Saint-Paul de Vence: "J’aurai un stand à Saint-Paul de Vence les 1er et 2 octobre pour promouvoir et vendre les créations de nos artisans. Ces journées mettront à l’honneur l’artisanat, l’art, la gastronomie et la littérature. "