Parmi les activités de la Maison internationale des écrivains à Beyrouth dans le cadre de "Beyrouth Livres", un événement phare est à signaler.
Il s’agit du lancement de Ce qui nous arrive (publié aux éditions Inculte), un ouvrage recueil regroupant cinq textes; de brèves fictions qui parlent des catastrophes qui touchent le monde contemporain – catastrophes auxquelles la crise et les misères du Liban font actuellement écho.

Les auteurs de Ce qui nous arrive (la Grecque Ersi Sotiropoulos, le Haïtien Makenzy Orcel, le Français vivant au Japon Michaël Ferrier, ainsi que les Libanais Fawzi Zebian et Camille Ammoun) seront réunis pour parler de l’ouvrage, le 30 octobre, dans le cadre de "Beyrouth Livres", à l’invitation de la Maison internationale des écrivains à Beyrouth. L’un d’entre eux, Michaël Ferrier, sera en résidence à Beyrouth avant et après le festival. Ferrier est un écrivain français d’origine mauricienne et indienne, qui a passé son enfance au Tchad, qui vit au Japon, et dont une partie de l’œuvre traite des questions liées au désastre de Fukushima, mais aussi de son enfance africaine et du Japon. Il est l’auteur, entre autres, d’un saisissant Fukushima, récit d’un désastre (Gallimard). Charif Majdalani débattra avec lui le 28, dans le cadre du festival où son Journal d’un effondrement sera confronté au récit du désastre de Fukushima…  

Ce qui nous arrive, une préface signée Charif Majdalani

"Le titre de cet ouvrage renvoie à l’idée d’un destin collectif, à ce qui, par-delà les continents et les frontières, advient aux hommes et les met à l’épreuve, ou met à l’épreuve ce qu’ils ont de plus précieusement en commun, c’est-à-dire leur humanité. Se trouvent en effet réunies dans ce petit livre cinq fictions ayant pour sujet les catastrophes qui touchent le monde depuis le début du millénaire et qui résultent tantôt des ruades de la nature, tantôt des actes irresponsables de ceux qui dirigent le destin des peuples et de la planète. De Haïti à Fukushima en passant par Beyrouth et Athènes, ces catastrophes (tremblement de terre, explosion, accident nucléaire ou écologique, crise économique) réveillent des échos similaires, parlent des mêmes traumas et des mêmes souffrances, et aussi parfois des mêmes capacités de résurrection et de recommencement. L’idée de constituer cette modeste anthologie vient de la Maison internationale des écrivains à Beyrouth qui en a proposé le concept à cinq écrivains et à un éditeur. Cette démarche n’est pas née d’une envie d’innover, elle n’est pas issue d’une fantaisie littéraire ou éditoriale. Elle vient en réaction au choc causé par l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth et à ses conséquences, une explosion qui a mêlé en elle les composantes et la forme tant du séisme que de la déflagration atomique. Mais le fait que le projet d’un tel ouvrage soit parti de Beyrouth vient de ce que la capitale libanaise et le Liban tout entier vivent aussi une crise économique qui est en train de se transformer en catastrophe sociale et écologique. Pendant des décennies, voire pendant un siècle, le Liban est passé pour un modèle, un pays "message", ou encore un laboratoire dans la gestion des complexités sociales du monde moderne. Naguère, c’était son système politique et sa gestion des différences communautaires et confessionnelles qui faisaient l’admiration du monde, ainsi que son système économique hyperlibéral, ou encore ses capacités à se redresser après tous les coups durs. Il y a quelques années, un écrivain français invité en résidence à Beyrouth déclarait que cette ville et le Liban en entier résumaient en eux tous les problèmes du monde contemporain, problèmes politiques, écologiques, problèmes liés aux migrations, problèmes du communautarisme, désengagement de l’État, rôle des banques, et que toute solution trouvée au Liban à l’une de ces questions pouvait servir d’exemple à l’ensemble de la planète. Mais le Liban est progressivement apparu également comme le paradigme de la mauvaise gouvernance et comme le lieu où se condensent les formes les plus retorses de la corruption, du détournement de fonds publics et de la clientélisation des citoyens, avant que la classe dirigeante libanaise, par son irresponsabilité et son laxisme, ne réussisse le tour de force de réunir tous les ingrédients et toutes les déclinaisons possibles de la catastrophe – explosion, séisme, crise économique, sociale et écologique – et d’en offrir au monde effaré le modèle ainsi condensé. Pour les Libanais, parler de leur épreuve est devenu une épuisante routine. Confronter ce qui est le sujet constant de la préoccupation des citoyens de ce pays à ce que d’autres ont vécu, ou vivent encore de similaire, nous a semblé passionnant, et peut-être thérapeutique, comme le serait une thérapie de groupe. Mettre en commun le récit de la catastrophe et réfléchir à la manière avec laquelle l’homme en gère les conséquences, le souvenir et le traumatisme: telles sont donc les idées à l’origine de cet ouvrage. Cela dit, la genèse du livre et celle de son contenu ont quelque chose de tristement romanesque, et racontent à elles seules l’effondrement d’un pays, ainsi que les divers désastres que connaît le monde contemporain. À l’automne de l’année 2019, la Maison internationale des écrivains à Beyrouth s’apprête à organiser la résidence dans la capitale libanaise de l’écrivaine grecque Ersi Sotiropoulos. Une activité somme toute habituelle, de celles qu’organise régulièrement l’association depuis dix ans. Or cette résidence est annulée suite à l’effondrement du système bancaire libanais et à la confiscation des avoirs de l’association dans les institutions financières. Le soulèvement populaire libanais encourage quelque temps plus tard l’organisation de rencontres littéraires à Beyrouth, afin de montrer la permanence de la vie dans le pays du Cèdre. Ces rencontres sont bientôt compromises par la première vague mondiale du Covid-19. L’explosion du 4 août et l’aide apportée par la communauté internationale au Liban, et parmi celle-ci celle de l’Institut français à la Maison des écrivains, remettent les choses en marche et cette dernière revient alors à ce projet de rencontres littéraires, mais sur une tonalité plus dramatique cette fois. Il s’agit désormais d’inviter une quinzaine d’écrivains ayant connu le Beyrouth d’avant l’explosion et le Beyrouth d’après, et de les écouter parler de la ville. L’intention, terrible mais ô combien symbolique aussi, est alors d’organiser ces rencontres sur les lieux mêmes où la Maison des écrivains avait l’habitude de proposer ses activités au public, théâtre, galerie d’art ou musée d’art moderne – des lieux qui ont tous été détruits par l’explosion. Hélas, la deuxième vague mondiale du Covid intervient à nouveau pour faire tout avorter. Toutes les catastrophes en une. Laissant le temps passer et nullement prête à baisser les bras, l’association reprend l’idée de ces rencontres mais de manière réduite, et décide d’organiser, à l’été 2021, une série de conversations avec un groupe restreint d’écrivains, non plus sur le thème de Beyrouth avant/après, mais sur celui de la catastrophe, dans laquelle le Liban et le monde se trouvent décidément englués. Nouvelle manifestation du syndrome du mythe de Sisyphe: l’exacerbation de la crise libanaise, à l’été 2021, la disparition complète du fuel et de l’électricité font, pour la quatrième fois, capoter le projet. La décision demeure néanmoins inflexible de poursuivre par n’importe quel moyen ce dialogue sur les catastrophes, sur ce qui nous arrive à travers elles et, par-delà nos différences, ce qui nous unit contre elles. À défaut de pouvoir réunir les écrivains, et dans la crainte d’un nouvel échec, l’association choisit de poursuivre ce dialogue à distance, en demandant aux cinq écrivains initialement sollicités pour venir parler de leur expérience d’en faire désormais le récit par écrit, sous la forme d’une petite fiction. C’est ainsi que naît le présent ouvrage."