Après trois ans d’attente, le Zoukak Sidewalks Festival revient à Beyrouth au théâtre Zoukak complètement rénové. Pour son retour en 2022 du 24 novembre au 4 décembre, le festival a décidé d’organiser une édition exclusivement libanaise avec uniquement des artistes locaux, confirmés ou émergents. Rencontre avec Omar Abi Azar, l’un des cofondateurs du festival Zoukak Sidewalks.

Comment l’idée du Zoukak Sidewalks Festival est-elle née? 

Nous sommes à la base une compagnie de théâtre née dans un appartement au 2e étage d’un immeuble de Furn el-Chebbak. Nous avions la volonté d’échanger nos différentes pratiques artistiques avec les amis artistes étrangers qui venaient au Liban. Petit à petit, nous avons eu envie de systématiser ces rencontres qui devenaient de plus en plus récurrentes, et tous les mois, un artiste différent venait soit pour faire un workshop, soit pour présenter sa pièce et son travail. C’est à partir de là que naît la première édition du festival, et en 2015, nous avons décidé d’inviter tous les artistes que nous connaissions en même temps, des grands noms de la scène européenne mais aussi d’autres noms beaucoup moins connus de la scène libanaise. Le festival international est ainsi créé, avec en parallèle une plateforme pour les artistes émergents et confirmés de la scène libanaise, permettant ainsi une sorte d’égalité professionnelle. Beaucoup de jeunes artistes sont par ailleurs devenus confirmés grâce à cette plateforme.

En 2020, le festival s’arrête à cause de tous les différents événements survenus au Liban, mais aussi avec la destruction du théâtre qui accueillait la troupe lors de l’explosion du 4 août. Le festival de cette année 2022 est ainsi la première édition depuis fin 2019. Sachant que les artistes libanais résidents au Liban souffrent énormément, nous avons opté pour une nouvelle formule, sans inviter des artistes internationaux. Nous avons donc décidé de faire une édition locale, avec un retour aux sources en mettant en avant les artistes et les genres musicaux qui nous avaient inspirés dans les années 80-90 comme le Heavy Metal ou le Death Metal. Je pense qu’à notre époque, les jeunes n’avaient pas beaucoup de moyens de se rassembler, et la musique métal était l’un des seuls moyens pour nous les jeunes de nous retrouver autre qu’au travers de la politique ou de la religion. Cette édition locale de 2022 vise donc à rassembler toutes les générations vivantes de la scène artistique libanaise. Elle s’apparente à des retrouvailles pour nous, que ce soit avec les artistes avec qui nous étions amis ou d’autres.

Le programme inclura du théâtre, de la danse, des concerts et des rencontres et se déroulera sur onze jours, dont deux week-ends.

Après trois ans d’interruption du festival, avez-vous des attentes particulières pour cette édition 2022?

Notre attente va au-delà de savoir si le festival va être bien reçu ou si les pièces vont plaire au public. Je vois cette édition comme une réunion dans un lycée vingt ans plus tard! L’objectif principal est surtout de savoir ce que nous sommes tous devenus car nous ne savons pas avec les récents événements qui est resté au Liban et qui est parti, mais aussi de voir ce que peut ou va devenir la future génération. Beaucoup des jeunes artistes sont d’ailleurs encore à l’université ou présentent leur premier projet ici.

Vous disiez en 2018 que le Liban est l’endroit idéal pour parler de la question de l’identité, pourquoi?

En 2018, nous avons fait un appel à projet pour essayer de dessiner l’identité de la scène libanaise. Notre plateforme Focus Liban a lancé cet appel à toute personne résidant au Liban, qu’importe sa nationalité (Sri Lankais, Palestinien, Éthiopien, Syrien, Français, etc.) car pour nous, ce sont ces personnes-là qui font l’identité libanaise; nous ne voulons pas une espèce de nationalisme perverti au sein de la scène artistique, car c’est une réalité, le tissu social libanais est de toute les nationalités et n’est pas seulement un archétype préconçu. Pour nous il n’y a pas de personne qui soit plus ou moins importante au Liban, que ce soit le Français expatrié ou le Sri Lankais qui nettoie nos maisons, et nous avons notamment découvert un groupe de musiciens sri lankais ici à Beyrouth, groupe que nous n’aurions jamais pu découvrir sans cet appel à projet ouvert à tous. Le problème est que malheureusement aujourd’hui personne n’a réellement envie de faire un festival de théâtre ou de musique au Liban, et il y a toujours beaucoup de désistements.

Le festival mélange les artistes confirmés aux jeunes talents. Pour vous le festival célèbre-t-il la jeunesse?

Oui, bien sûr, et je pense même qu’il y a un côté nostalgique à tout ça. Nous voulions montrer à la jeunesse quelque chose qu’ils n’ont pas pu voir et qu’on avait peur qu’ils ne voient jamais. Aujourd’hui, à une échelle bien sûr différente, la jeunesse libanaise, avec la crise économique, la révolution, la pandémie de Covid-19 et l’explosion du 4 août, a vécu des traumatismes comme nous nous en avions vécus durant la guerre civile. Je pense que nous n’avons rien à leur apprendre aujourd’hui, mais qu’ils ont besoin d’être écoutés comme nous l’avons été il y a trente ans. Ils savent tout, ou du moins prétendent tout savoir (rires), et c’est pour ça que nous avons à écouter ce qu’ils ont à dire. Ils ne doivent pas faire les mêmes erreurs que nous en usant leur énergie pour trouver une place dans la société, mais plutôt pour créer, alors que nous, nous avons perdu trop de temps à chercher un théâtre, le restaurer, fonder un lieu, alors que nous aurions pu faire des pièces de théâtre.

"La culture est un droit, pas un privilège." Pour vous, y a-t-il un devoir de culture?

Je pense surtout qu’il y a un devoir d’avoir des espaces de culture, des endroits alternatifs de pensée où l’on peut ainsi développer et construire la sienne. Il faut des espaces comme ça car ils n’existent pas dans les discours politiques ni dans l’armée. La culture naît dans des espaces ouverts à l’imaginaire où l’on peut transposer sa propre pensée et la construire. La culture et l’art sont pour moi une page blanche, sur laquelle tu marques comment toi tu veux penser. Cet espace de culture est pour moi un droit, et nous avons le devoir de le préserver car ce sont notamment les premiers endroits que les régimes totalitaires bafouent, que ce soit au Liban, en Europe ou dans le reste du monde. Par exemple aux États-Unis, l’entertainement est considéré comme de la culture alors que non, la culture n’est pas quelque chose qui est forcément amusant ou divertissant. Même en Europe, les premières coupes budgétaires se font au niveau de la culture, alors que paradoxalement, lorsque l’on soutient un pays dans une guerre ou autre, on le soutient au travers de sa culture en faisant qu’il puisse la conserver, car elle est inhérente à chaque État, à chaque être humain.

Joseph Jourdanneau

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Cet entretien a été originalement publié dans l’Agenda culturel.