À la Galerie Salahin, nichée à quelques pas de la place des Vosges à Paris, Chloé Chidiac de Missolz, en partenariat avec la galerie Mark Hachem, expose pour la deuxième fois la céramiste Tania Nasr, poursuivant ainsi sa démarche de valoriser les artistes du Moyen-Orient à Paris.

Tania est franco-libanaise, céramiste contemporaine depuis dix ans. Si le travail de l’artiste a tout à voir avec les problématiques d’identité, sa pratique se nourrit de prime abord de son rapport avec la nature, d’une énergie puisée dans les paysages montagneux et les couleurs de son pays natal, le Liban. Néanmoins, c’est à Singapour que sa technique connaît un tournant, lorsqu’elle se forme auprès de maîtres potiers chinois et découvre un nouveau moyen d’exprimer sa sensibilité au monde minéral. En Asie, Tania appréhende également, après s’être emparée de la rigueur artisanale, le concept de wabi sabi, littéralement "la beauté de l’inachevé". Dès lors, la caractéristique principale de son processus créatif se dégage, un maître mot qu’elle garde dans un coin de sa tête et auquel elle ne déroge jamais: la spontanéité. Cette spontanéité, qu’elle s’impose paradoxalement, colore son art des pigments de l’imprévu. Après son départ de Beyrouth, en 2021, Tania installe son atelier à Paris.

Pour chaque pièce, elle tord la matière, la plie, la déchire afin d’incarner à sa manière un équilibre entre vulnérabilité et force. Son axe de réflexion plastique est sans équivoque la fragilité, "c’est on the edge of breaking", déclare-t-elle, en bonne libanaise trilingue. Elle entend pousser cette fragilité, et côtoie le point de rupture de la terre, appréhende la scission sans jamais y céder. Mais la structure tient bon. "It’s holding together", à l’image du Liban.

Pour les matériaux, Tania utilise différentes argiles, auxquelles elle ajoute de temps à autre des petits cailloux, ou des pincées de sable, qu’elle pioche dans sa réserve de terre de Kfar Aqab, un village libanais, ou dans son jardin. On sent qu’il est important et plein de sens pour Tania d’incorporer son environnement du moment à son processus créatif. Toutefois, le lien avec le Liban reste indéfectible, et les céramiques semblent être le miroir de la déliquescence actuelle, l’instantanéité, le manque de projection, l’incertitude. "Cette incertitude se traduit par le fait que je m’astreins à ne pas maîtriser la matière que je travaille (…). Ainsi la pièce finale, au sortir du four, va être le résultat aussi bien de mon travail que de l’évolution de la terre, c’est en quelque sorte un travail d’équipe…"

Tania entend établir "un dialogue avec l’argile", en la modulant en précuisson jusqu’à ce qu’elle sèche, laissant libre cours à son évolution dans le mystère de la chaleur. Il y a toujours la possibilité de raboter un peu la base pour lui donner cette forme sphérique; mais cela lui plaît de laisser une part d’incontrôlé. Une marge de manœuvre pour l’expression propre de l’argile. Une surprise pour elle-même.

Pousser l’argile de la céramique qui tient alors sur un fil jusqu’à son point de point de rupture, paroxysme de l’équilibre, est un processus profondément cathartique, mais surtout sensitif pour Tania. En effet, l’expression manuelle est une nécessité pour l’artiste, notamment pour établir un antagonisme avec sa précédente carrière de recherche en anthropologie, dans les méandres du théorique et à mille lieues du pragmatique.

Visuellement, la série ressemble à une collection de petites chrysalides, les plus récentes étant les plus ouvertes. Les pigments que Tania rajoute dans l’argile avant de cuire offrent des nuances de beiges et de bleus, modifiées par une double cuisson électrique, une couche d’émail, ou parfois simplement une cire, pour un effet plus mat. Chaque pièce est la métaphore d’une vie, qui a ses fissures, ses particularités, ses superpositions, ses excroissances et, surtout, ses zones de fébrilité, d’incoercible, toujours dans cette recherche de spontanéité qui marque l’œuvre de Tania.

Article rédigé par Léa Samara

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