Reprise de Mafroukeh au théâtre Monnot. Une pièce qui aborde les luttes personnelles, sociales et sociétales d’une femme libanaise après un divorce. Le trio d’actrices exprime parfaitement une "puissante dichotomie entre la douleur et l’espoir", pour reprendre les mots du réalisateur Riad Chirazi.

Synopsis 

Après avoir été la parfaite femme au foyer, Amal décide de jeter son tablier et de divorcer. Mais dans la société libanaise, le divorce est un parcours très mouvementé, parfois même humiliant pour la femme qui décide de (sur)vivre après la séparation. Amal se confie à sa voisine fictive et lui raconte les raisons de son divorce, son point de vue sur la vie, sur l’amour, sur le couple, sur la famille, sur le travail, sur l’éducation. La pièce offre un récit enchâssé prenant; aujourd’hui, c’est l’anniversaire de son fils, la famille éclatée doit se réunir: l’ex-mari, la nouvelle fiancée, la belle-mère et les deux enfants. Quelle sera la place d’Amal sur la photo de famille? Et surtout, quelle est désormais sa nouvelle place dans la société?

Une écriture dense et diversifiée

Le spectacle propose une alternance dynamique entre monologues et dialogues enflammés, et une savante répartition de la parole entre les trois actrices qui ne jouent qu’un seul rôle. Les trois comédiennes Marwa Khalil, Wafa’a Halawi et Serena Chami, dont l’alchimie et la connaissance exhaustive du jeu de l’autre est palpable, explorent le parcours d’une femme face à une société patriarcale, entre archaïsme des traditions, limitations de genre, difficultés à reconstruire sa vie et à faire face à de nouveaux défis. La pièce est complète, en ce qu’elle dépeint les effets juridiques, sociaux, émotionnels, psychologiques et économiques qui amènent Amal à se sentir comme une citoyenne "inférieure". Inférieure à la fois devant la loi et aux yeux des gens, elle se sent usée, déchirée, parfois abusée et souvent utilisée, d’où le titre Mafroukeh*.

Mafroukeh ou la dénonciation 

La dénonciation est le sans-faute de Mafroukeh; tout y passe! Les tribunaux juridiques religieux et civil sont tournés au ridicule, après les portraits parfois douloureux parce que cathartiques de l’ex-mari, des enfants qui ne comprennent pas, de la belle-mère toujours aussi exigeante, des amies encore mariées. Hystérie, mélancolie, frustration, exaspération, excitation. La mise en scène semble anarchique parce que le désordre des émotions est à l’honneur, au service de la justesse du portrait d’une femme aux repères bousculés. Le comique apporte une légèreté à ce sujet lourd et important. La scène du cours de yoga est particulièrement lucide, et les rires ont fusé, preuve de l’identification de la salle au portrait d’une femme excédée qui n’a même pas l’énergie et la configuration mentale pour prendre soin d’elle-même. Néanmoins, on ne peut passer à côté de la gravité de certaines scènes, comme le tableau final qui transpire la violence métaphorique d’être chassée de la photo de famille. La dénonciation est bien là, la victimisation d’une femme par une configuration sociétale aussi; le message n’est pas erroné mais peut-être incomplet? Le soulagement, la liberté, l’allègement de la charge mentale qu’un divorce peut procurer manquent à l’appel.

Une pièce qui va plus loin

Finalement, c’est une pièce engagée dont le sujet est aussi une analogie du contexte socio-politique du Liban. La phrase de Michèle Fenianos, fondatrice et directrice de MFG Consulting, semble alors faire écho plus loin que la salle de théâtre, plus loin que le divorce: "Aujourd’hui, malgré la descente du Liban dans les ténèbres, nous croyons fermement qu’il est de notre responsabilité, en tant qu’artistes, de ne pas céder au fatalisme et de continuer à être la puissance régénératrice. Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre." Voilà un beau message, tout de même, pour des femmes à la recherche du courage de la saisir, cette puissance régénératrice.

Léa Samara

Mafroukeh est un dessert libanais, mais son sens littéral en arabe est "être lavé, pétri, pressé, égoutté", etc.

Cet article a été originalement publié sur le site de l’Agenda culturel.