L’intelligence artificielle s’impose de plus en plus dans tous les secteurs, dont le domaine artistique. S‘inspirant des œuvres d’art et en recréant de nouvelles, elle n’échappe pas à la polémique. Photographie, peinture, écriture… tout est sujet à remaniement, dépassant à la vitesse de l’éclair la question des droits. Le domaine de la musique n’en est pas moins concerné.

Plusieurs exemples d’intelligence artificielle (IA), devenue un élément fondamental de la transition numérique, sont à retenir. Les notes ainsi que le timbre de la voix, tout comme les mots, sont ainsi calqués, déconstruits, recomposés et reclassés dans un nouveau répertoire, teinté de créativité. Il ne faut pas forcément être réticent à tout ce nouveau monde, mais plutôt en tirer le meilleur. En effet, cette évolution numérique de la société est en quelque sorte nécessaire dans notre époque. Reste à voir comment mettre en place certaines lois ou régulations qui délimiteraient les frontières entre l’éthique et le progrès scientifique.

La musicienne DeLaurentis utilise un chœur d’intelligence artificielle calqué sur sa voix et les rappeurs d’AllttA provoquent le débat avec un avatar vocal de Jay-Z: l’IA en musique oscille entre moteur de création et questions de régulation. "Impossible de remettre le génie dans sa lampe quand il en est sorti", a posté sur Instagram Young Guru, collaborateur de Jay-Z, au sujet de l’IA. "L’IA est partout, depuis quelques années, même si on commence seulement à ranger ça sous un vocable unique", constate Alexandre Lasch, du syndicat national de l’édition phonographique en France (Snep). "C’est le sens des choses, les technologies ont apporté beaucoup à notre industrie musicale, cette évolution va augmenter le champ des possibles", constate Clarisse Arnou de l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (Upfi), avant de prévenir qu’il faut "encadrer".

DeLaurentis, artiste électro française, a plongé en autodidacte dans l’IA. Cette fan du film Blade Runner, dont les protagonistes sont des "réplicants", c’est-à-dire des doubles artificiels d’humains, travaille pour son prochain album Classical Variations Vol.2 avec un "chœur virtuel", développé avec l’aide du département technologie chez Sony et l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique de Paris.

Un "tête-à-tête" continu

Son chœur version IA part de sa voix, "multipliée jusqu’à 21 voix", explique l’artiste à l’AFP. "Ce chœur a un comportement intelligent, avec un timbre et une respiration qui se mettent à ma hauteur. Je peux lui dire: ‘tu m’accompagnes en do mineur’ ou bien ‘surprends-moi’, comme un jazzman qui interagit avec les autres musiciens." Ici, tout part de DeLaurentis, créatrice et maîtresse d’œuvre. Dans ce cas-là, l’IA "peut être considérée comme un outil d’inspiration", décrit à l’AFP Emily Gonneau, auteure de L’Artiste, le Numérique et la Musique.

Zone grise

Où sont les frontières à ne pas franchir? David Guetta a utilisé l’IA pour simuler une voix à la façon du rappeur Eminem pour un de ses shows. Le DJ star n’a toutefois pas commercialisé ce titre, expliquant à la BBC vouloir "ouvrir la discussion pour une prise de conscience".

Pour "amener une autre pierre au débat", comme l’affirme leur manager français Yann Nédélec, le groupe franco-américain AllttA vient de dévoiler sur ses réseaux un titre avec un vrai-faux Jay-Z, créé à l’aide d’une IA qui simule jusqu’aux gimmicks vocaux du rappeur américain. "On n’a évidemment pas mis ce titre en distribution commerciale, on veut montrer qu’on est bien dans une zone grise et qu’il y a besoin de réguler", poursuit Yann Nédélec. Ce morceau ne figurera pas sur le nouvel album d’AllttA Curio, prévu pour le 12 mai 2023.

Question de consentement

"On ne devrait pas pouvoir prendre votre nom, votre image et votre apparence sans votre permission", déplore Young Guru. Sont ici soulevées les "questions de l’autorisation, du consentement et, en cas d’exploitation commerciale, la notion de personnalité – droit à l’image, voix", synthétise Emily Gonneau. "Pour la contrefaçon, il y a des actions légales types, mais le parasitisme (profiter du travail ou de la notoriété d’autrui pour s’enrichir, ndlr) et le droit de la personnalité sont plus compliqués à faire valoir", souligne Alexandre Lasch.

"Dès lors qu’on copie une voix, une mélodie, qu’on la ralentit, l’accélère, ça pose problème; l’ayant droit est rarement consulté ou rémunéré pour sa création originale. Il y a fort à faire pour encadrer", insiste Clarisse Arnou de l’Upfi, qui est associée à une initiative internationale en ce sens (www.HumanArtistryCampaign.com).

"La technologie va beaucoup plus vite que le droit", constate Alexandre Lasch. Avec 100.000 nouveaux morceaux par jour sur les plateformes, il n’y pas assez de radars, ni de gendarmes. "Je ne suis pas si pessimiste, il va y avoir un rattrapage juridique. Mais est-ce que, d’ici là, l’écosystème et la manière de faire de la musique n’auront pas déjà changé?", conclut Emily Gonneau.

Marie-Christine Tayah avec AFP
Instagram: @mariechristine.tayah