Originairement publié en arabe en 2008 et excellemment traduit en français par Simon Corthay, Confessions de Rabee Jaber, paru chez Gallimard en avril 2021, questionne, à travers l’histoire d’un drame individuel, des thèmes si chers à l’auteur des Druzes de Belgrade (Gallimard, 2015), à savoir la guerre, l’identité, l’Histoire, la mémoire, l’oubli…

Parfois, lire un livre est une douce torture. Cela a été le cas pour moi lors de ma lecture de Confessions de Rabee Jaber. À la page 57, j’écris à l’ami qui me l’avait recommandé pour lui dire que je sanglotais. Ce n’était pas un reproche, mais une volonté de lui montrer une certaine reconnaissance pour m’avoir offert un moment intense de colère, d’émotion et curieusement de bonheur. Même en sanglotant, je ne pouvais m’arrêter de lire. Il faut dire que l’histoire, aussi inhabituelle que surprenante par sa violence, me renseignait sur ma propre histoire, sur un côté obscur de mon passé, sur ma propre identité.

Maroun est habité par un malaise lancinant alimenté par le sentiment de ne pas réellement appartenir à sa famille. Même s’il se sent aimé, les silences et les regards prouvent que tout n’était pas aussi clair qu’il n’en paraissait pour cette famille dont le chef se serait transformé en monstre au dire du narrateur qui commence ce récit terrible et brillamment mené par cette phrase: "Mon père enlevait les gens et les tuait", un incipit qui révèle l’atmosphère rendue tout au long des pages crues où nous plonge Rabee Jaber.

Qui est Maroun? D’où vient-il? Les souvenirs de sa petite enfance jalonnent le roman, lui reviennent comme des mirages, présents et impalpables. Il a le sentiment que sa famille recomposée (recomposée comment? Maroun ne le sait pas) lui en veut, mais pourquoi? De quoi était-il coupable? Quelle faute avait-il commise?

Les combats font rage dans la capitale libanaise. La famille se réfugie dans la seule pièce sûre de la maison où trône une drôle d’icône. Maroun vit dans la confusion. Il n’a aucun souvenir de son petit frère. S’il est son petit frère, il doit être né après lui, mais pourquoi il n’en garde aucun souvenir? Et pourquoi porte-t-il le même prénom que ce regretté petit frère mort sous la torture et dont le portrait ornait la pièce principale de la maison, coupé d’un bandeau noir en diagonal? Maroun aurait-il pris sa place? Il aurait peut-être pu changer quelque chose pour que sa mère aille mieux ou qu’elle arrête de penser à son corps sans vie découvert à quelques mètres de là. Il aurait peut-être pu le sauver, mais comment pouvait-il agir sur une séquence de son existence dont il n’avait aucun souvenir? Aurait-il pu prévenir son enlèvement, son assassinat?

Le roman est court, mais n’en demeure pas moins percutant. Il vous hante des jours après sa lecture, surtout si vous avez habité comme moi à quelques mètres du quartier où se déroulent les faits et que, enfant protégée par les adultes, vous n’aurez jamais soupçonné que l’horreur se concrétisait à un jet de pierre de la maison d’où il arrivait à cette enfant d’observer les vies parallèles, les jours d’accalmie.

Confessions de Rabee Jaber, traduit de l’arabe par Simon Corthay, Gallimard 2021, 156 p.