Monstrueuse Féérie, le roman époustouflant de Laurent Pépin, nous entraîne dans un voyage onirique et lyrique où les frontières entre la raison et la démence se fondent et se confondent. Premier volet d’une trilogie prometteuse, cette œuvre littéraire nous guide à travers un récit émouvant et introspectif, interrogeant la nature même de la normalité.

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La trame narrative, finement élaborée, suit les pas d’un psychologue clinicien qui s’aventure dans les méandres de la maladie mentale, sondant les hallucinations et les délires qui hantent l’esprit de ses patients. Les personnages, profonds et attachants, suscitent en nous une empathie authentique pour leur histoire et leurs tourments. Puisant dans sa propre expérience de psychologue, Laurent Pépin* aborde la schizophrénie et les hallucinations avec une aisance et une justesse saisissantes.

Dans ce roman, une romance se tisse subtilement entre le narrateur et une Elfe, se déroulant en filigrane tout au long du récit, comme un miroir de l’intrigue principale. Les Monstres incarnent les pensées sombres et tumultueuses qui assaillent l’esprit du protagoniste, tandis que les Monuments symbolisent les figures dignes de respect, à savoir les personnes internées auxquelles il se lie.

Deux personnage, la Mère et le Père, sont volontairement tenus à distance par le narrateur, qui choisit de les évoquer à la troisième personne dans son récit. Cette distanciation délibérée semble être une tentative de se prémunir contre l’absence d’amour parental et la violence omniprésente entre ses géniteurs. Leurs interactions dévoilent une relation tumultueuse et déchirante, aux antipodes des liens affectueux et chaleureux qu’un enfant aurait souhaité connaître.

"’J’ai aussi besoin de disparaître, je ne peux pas être comme tu le voudrais, et puis tu aurais peur dans le ciel, tu le sais bien.’
Je ne répondais pas.
‘Quand je disparais, ça ne veut pas dire que je n’existe plus ou que tu n’existes plus.’
Je ne répondais pas.
‘Ça veut dire que je vis d’autres choses, c’est tout. C’est pour nourrir mes racines, disait l’Elfe.’"

Le style littéraire, empreint de richesse et de finesse, magnifie chaque détail de cette histoire, dépeignant avec brio la complexité des émotions et les nuances des relations entre les personnages. L’emploi d’un vocabulaire raffiné et évocateur sublime les diverses facettes de cette trame, tissant une fresque empreinte de beauté et de tragédie.

Dans Monstrueuse Féérie, l’auteur questionne notre conception de la normalité et de l’étrangeté, nous invitant à méditer sur ce qui définit réellement la différence et l’excentricité. Il interroge aussi les processus qui nous conduisent à rejeter ceux qui ne correspondent pas aux critères établis, mettant en exergue les injustices et les stéréotypes qui en résultent.

"Il faut bien reconstruire le monde à sa façon, on ne peut quand-même pas le prendre tel qu’il est. C’est trop triste. Prends le ciel, les nuages, les oiseaux, ce que tu voudras, ça n’a aucun sens si on n’y invente pas autre chose avec, un peu d’accent dans le regard qu’on y met. C’est vrai, c’est nul la nature naturelle."

Le monde de Monstrueuse Féérie est peuplé de personnages et de créatures qui évoquent les univers fantaisistes de Boris Vian. Ainsi, les Elfes et les Monstres qui hantent l’esprit du protagoniste rappellent les êtres étranges et merveilleux qui peuplent les œuvres de Vian, comme L’Écume des jours ou L’Arrache-cœur. Les paysages intérieurs du protagoniste sont dépeints avec une palette de mots expressifs qui donnent vie aux hallucinations et aux rêveries qui traversent son esprit. Les scènes de la vie quotidienne sont, quant à elles, teintées d’un éclat surréaliste, qui vient brouiller les frontières entre la réalité et l’imaginaire.

"Et plus je les regardais, plus les étrangers semblaient se transformer sous mes yeux en créatures uniformes, patchworks des créatures qui avaient peuplé le monde jadis. Rapidement, leurs troncs, leurs membres, leurs figures n’étaient plus que des empiècements hétéroclites d’organes, des déchets d’humanité."

Le vocabulaire riche et évocateur employé par Laurent Pépin contribue à l’atmosphère onirique et déroutante du récit. Les descriptions poétiques et les métaphores audacieuses permettent au lecteur de plonger dans cet univers halluciné et de ressentir pleinement les émotions des personnages.

Monstrueuse Féérie est une création littéraire unique et profondément personnelle qui séduira les amateurs de littérature riche en images et en émotions. C’est un roman perturbant et ensorcelant qui bouleverse notre perception de la réalité et nous plonge au cœur de l’âme humaine en proie à la folie. En somme, une expérience littéraire inoubliable.

*Monstrueuse féérie, paru le 25 novembre 2022 aux éditions Fables fertiles, est son premier livre. Il sera suivi de L’Angélus des Ogres en octobre 2023 et de Clapotille, au printemps 2024.