"Tout homme a trois vies. L’une publique, l’autre privée et la troisième secrète." Gabriel García Márquez

Adaptation du film italien Perfetti Sconosciuti de Paolo Genovese, Ashab wala a’az de Wissam Smayra a l’avantage de se conformer à la réalité orientale, en évitant les écueils dans lesquels le réalisateur pouvait tomber.

Pour son premier long métrage, Wissam Smayra n’a pas fait dans la dentelle. Non seulement, Ashab wala a’az ou Perfect Strangers est le premier film arabe à avoir le label Netflix Original, mais c’est aussi une des rares adaptations cinématographiques libanaises libres qui offre une consistance dans le fond et la forme.

Pour le fond, cette histoire d’un dîner entre copains qui se retrouvent un soir d’éclipse totale de la lune, pour rencontrer la nouvelle copine d’un des leurs, décident de se livrer à un jeu quelque peu dangereux.

Pendant toute la soirée, ils vont mettre leur téléphone portable au milieu de la table, déverrouillés – et leurs secrets avec. Et l’obligation de partager avec tout le monde le contenu des messages ou des appels qu’ils reçoivent.

"Tu oses ou tu dis la vérité" version adulte!

Tout au long du dîner, les uns et les autres vont se mettre progressivement à nu. Au-delà de la trame tragi-comique qui va se dérouler sous nos yeux, l’allégorie de l’éclipse de la lune – qui, dit-on, permet à tous les secrets de se dévoiler – et la mystique du nombre sept, considéré comme un nombre sacré ou magique – ils sont sept à table –,  une nouvelle dimension vient s’ajouter: celle du portable qui se met au travers des couples, comme la Terre vient se placer entre le Soleil et la Lune pour former une éclipse totale.

Cette adaptation du film italien Perfetti Sconosciuti de Paolo Genovese, qui a fait l’objet de plus de 19 adaptations – un record –, dont la libanaise, a l’avantage de se conformer à la réalité orientale, en évitant les écueils dans lesquels le réalisateur pouvait tomber.

Et la chute du film permet au spectateur de lâcher un grand soupir de soulagement!

Sur la forme, et d’entrée de jeu, le film s’ouvre sur un plan-séquence d’une minute (un travelling-avant qui suit le couple Diamand Bou Abboud-Adel Karam) qui est en lui-même une prouesse technique. Un coup d’œil à la séquence du film Good Fellas du grand Scorsese ou encore The Shining du non moins grand Kubrick.

La réalisation de Wissam Smayra est sobre, juste, impeccable, exemplaire. Et surtout pleine d’émotion. À fleur de caméra. Caméra subjective, qui donne le sentiment au spectateur d’être un des invités. Les plans serrés ajoutent à la dimension intimiste des situations, sur une musique originale envoûtante de Khaled Mouzannar.

Le jeu d’acteurs – qui n’ont plus rien à prouver – est juste émouvant. Attendrissant. Touchant. Mais je retiendrai quand même le jeu exceptionnel de Adel Karam. Il est peu d’acteurs qui viennent de la comédie satirique qui arrivent à réussir dans des rôles aussi sérieux.

Coluche dans Tchao Pantin ou Peter Sellers dans Being There, Adel Karam est aussi magistral. Il l’avait prouvé dans ses films précédents (Caramel; Et maintenant on va où?; L’Insulte) mais dans ce film et sous la direction de Wissam  Smayra qui, à l’évidence, lui a permis de se lâcher à fond dans ce rôle à sa démesure.

Wissam Smayra a placé la barre haut. Très haut. Et on se prend déjà à rêver d’un deuxième film.

Une heure et demie de bonheur total. De plaisir cinématographique. Et surtout, la satisfaction intime que le cinéma libanais va bien!