Comment peint-on la musique? Cela pourrait sembler aussi étrange qu’irréel… et pourtant! Musicality, l’exposition en solo de Zeina Nader qui se tiendra du 11 au 28 février à Arthaus à Gemmayzé, est la preuve visuelle et palpable que ce miracle artistique existe bel et bien, mais que rares sont ceux qui sont nantis de ce pouvoir-là. Ici Beyrouth s’est entretenu avec l’artiste.

Campanella- Franz Liszt (200 x200 cm- Médias mixtes sur toile de jute)

Parlez-nous de Musicality, cette exposition originale qui vous permet de retranscrire des symphonies en toiles?

Il sagit dune approche unique jamais réalisée auparavant. Elle est en rapport évidemment avec ma synesthésie, qui était le thème majeur de ma dernière solo en date. J’ai travaillé et élaboré cet état très particulier qui consiste à tout ressentir, voir et éprouver en couleurs. Cette fois-ci, je me suis fixée sur la retranscription, en peinture, de ce que certaines partitions de musique classique faisaient naître en moi comme couleurs.

Ce projet m’a permis de plonger dans les morceaux des grands compositeurs classiques et de relever un grand défi relatif à mon abstrait. J’ai peint en écoutant la musique, j’ai laissé la musique peindre, car j’ai ressenti les notes et les portées résonner en couleurs et structures, en couches de peinture et en formes denses ou diluées. Cest une immersion parfaite entre les deux arts qui m’a poussée à écouter la peinture et voir la musique.

Lors de cette exposition, les visiteurs peuvent scanner le code QR et écouter l’intégralité du morceau musical relatif à chaque tableau, joué par le Dr Tony Karam, tout en admirant la toile. L’effet est unique et l’impact de la toile n’est pas le même si lon n’écoute pas la musique. On peut voyager à travers l’œuvre audiovisuelle et sentir les mouvements de la couleur en vibrations musicales. Les collectionneurs et amoureux de l’art qui acquerront ces toiles recevront un CD contenant le morceau musical relatif à la peinture qu’ils auront choisie.

La ballade de Chopin (100×200 cm- Acrylique sur toile de jute)

Comment avez-vous travaillé ce projet? Est-ce vous qui avez choisi les morceaux ou est-ce le Dr Tony Karam qui vous les a proposés?

Ce projet a été suggéré par le Dr Tony Karam au mois de septembre 2021, alors que je finalisais Synesthésie, ma dernière solo. Me voyant mettre en peinture la saveur d’un gâteau à l’orange, le gazouillement des oiseaux ou la senteur d’un bouquet de fleurs, il me dit simplement: "Tu serais sûrement capable de peindre les 16 morceaux de musique classique que je vais jouer lors de mon prochain concert aux États-Unis."

Le défi a été lancé et bien qu’il fût incroyablement dur, j’ai voulu tenter de le relever. Ces 16 morceaux méticuleusement choisis par le Dr Karam, composés par les plus grands noms (Bach, Chopin, Liszt ou Rachmaninoff), ont été joués de manière magistrale au Scottish Rite Theatre dans l’État de l’Illinois, en décembre passé, pour la bonne cause. Les revenus de ce concert ont été entièrement reversés en faveur du centre médical et universitaire de la LAU pour aider les élèves en médecine et les patients à l’hôpital en ces temps de crise et surtout après l’explosion du 4 août. Comme ces morceaux ont été émotionnellement sélectionnés avec le Liban au cœur, les rendre en tableaux a été un double défi, relatif à l’ampleur de la cause et à l’immense grandeur des compositeurs.

Standchen-Schubert (120×120 cm- Acrylique sur toile de lin)

Peut-on réellement voir la différence entre le style de peinture de Zeina Nader que l’on reconnaît et cette série à part? Et comment vous y êtes-vous prise?

J’ai écouté minutieusement chaque morceau. Je me suis immergée dans la musique que j’ai enregistrée. J’en ai fait une obsession nuit et jour, jusqu’à parvenir à faire ressortir mon ressenti en peinture. Cela m’a coûté des nuits blanches et de très fortes émotions, de grands moments de doute et d’autres d’angoisse. Je me suis retrouvée âme nue devant mes toiles vierges à me demander ce que j’essayais de faire. Malgré tout cela, je n’ai pas baissé les bras. Jai essayé. Et je crois avoir réussi.

Aujourd’hui ces 16 morceaux sont le fruit de cette exposition. Il s’agit donc de 16 toiles peintes de manière abstraite, chacune avec la signature propre à la symphonie qu’elle représente. Les dimensions sont différentes, elles ont été inspirées par la musique, au même titre que les médias utilisés.

On reconnaît évidemment ma touche et mon style, mais je crois que, grâce à cette série, comme tout artiste qui pousse ses limites à l’extrême, j’ai évolué.

Adagio- Bach (100×100 cm- Médias mixtes sur toile de lin)

Quels sont vos futurs projets?

Une de ces toiles, inspirée de la musique de Prokofiev, m’a ouvert la voie vers la nouvelle série que je travaille actuellement pour ma prochaine solo. Je mets en peinture "les moments rouges" qui sont ces instants inoubliables qui mettent en valeur le cheminement de la vie. Je finalise également mon livre d’art, Mots sur Couleurs, Volume 2, qui est la suite du premier ouvrage sorti en 2016. J’espère le mettre sous presse d’ici quelques mois. Il sera disponible en deux versions: en français et en anglais.