C’est au cours d’une conférence de presse organisée au musée Sursock que Nada Ghandour, conservatrice du patrimoine et commissaire du Pavillon libanais, a annoncé le thème du pavillon à la 59e Exposition internationale d’art, la Biennale de Venise, et présenté les détails du projet.

Placé sous l’égide du ministère de la Culture et organisé par la Lebanese Visual Art Association (LVAA), le Pavillon libanais à la Biennale Arte 2022 exposera les œuvres de la cinéaste et vidéaste Danielle Arbid, issue de la diaspora et installée à Paris, et du plasticien Ayman Baalbaki, qui vit et travaille à Beyrouth, dans une scénographie conçue par Aline Asmar d’Amman, architecte et fondatrice de Culture in Architecture.

"Cette proposition artistique, en lien étroit avec le contexte libanais et qui fait totalement écho à des problématiques mondiales, invite à un voyage symbolique dans notre monde contemporain grâce à un thème, une ville et deux artistes. La crise économique, sociale et politique qui affecte le Liban depuis fin 2019 est sans précédent, et le bâtiment de l’Arsenal de la Biennale retentira de ses échos grâce aux œuvres des deux artistes qui ont été choisis et qui ont entretenu un dialogue esthétique et politique. Au-delà d’une création artistique, cette exposition à Venise propose à tous les Libanais, au Liban ou ailleurs dans le monde, un espace d’échange symbolique sur leur histoire et celle de leur pays et la société d’aujourd’hui", a déclaré Nada Ghandour lors de son allocution.

Et d’ajouter: "L’ambition de ce projet est de faire rayonner la scène artistique libanaise au niveau international et d’envoyer un signal fort aux artistes de ce pays qui traverse les moments les plus difficiles de son histoire."

Aline Asmar d’Amman, scénographie du Pavillon libanais, 59ème Exposition Internationale d’Art, La Biennale di Venezia ©️ Culture in Architecture

Le monde à l’image de l’Homme

Le Pavillon libanais à la Biennale Arte 2022 met en espace l’action perpétuelle de l’imaginaire humain sur la réalité du monde. Dans l’exposition Le monde à l’image de l’Homme, la fiction inspire et nourrit plus que jamais notre quotidien. Son projet invite à un voyage symbolique dans le monde contemporain grâce à ce thème, une ville, Beyrouth, et deux artistes, Ayman Baalbaki et Danielle Arbid, qui entretiennent à distance un dialogue politique et esthétique à travers des œuvres si lointaines et pourtant si proches. Beyrouth, ville monde, est le lieu où s’incarne ce thème qui n’a pas de frontière: Tous les individus de toutes les cultures peuvent l’interpréter et se l’approprier à travers leur propre perception.

Seul l’art peut déchiffrer les codes de notre vision, les transcrire et les faire résonner dans une forme ou une autre. Ainsi, l’installation monumentale d’Ayman Baalbaki et la vidéo de Danielle Arbid évoluent entre une image mentale devenue réalité grâce au geste plastique de Baalbaki, et une réalité tangible devenue pure vision dans l’œil de Arbid.

Un pont maudit entre l’Orient et l’Occident

Point charnière entre l’Orient et l’Occident, le Liban a pâti de nombreuses fois d’être le réceptacle, malgré lui, de nombreuses tensions venues d’ailleurs et qui ont, à chaque fois, profondément transformé l’œuvre la plus achevée de l’homme, à savoir la ville.

Plus que jamais, le drame politique, économique et social que le Liban connaît, depuis 2019, remet sous les yeux du monde Beyrouth, ville martyre et ville du futur en puissance. Danielle Arbid et Ayman Baalbaki ont choisi comme sujet de réflexion et de création cette urbanité polysémique, entre virtualité et réalité, au cœur des soubresauts de la crise mondiale et de l’instabilité émotionnelle d’une relation au monde particulièrement technologisée.

Danielle Arbid présente une vidéo intitulée Allô Chérie et Ayman Baalbaki une installation, Janus Gate. La dimension politique des deux œuvres met en scène les contradictions et les difficultés du pays à travers leurs symptômes. La course effrénée en quête d’argent est indissociable de la violence qui en découle. La spéculation immobilière, qui promet du rêve, cache la ruine et trompe sur la marchandise. L’angoisse face à l’implosion économique et politique du Liban s’expose de plus en plus. Avec leurs propres moyens, marchant sur le fil de l’éternel retour, tous deux mettent à vif la chair du Liban dans son chaos et dans sa beauté.

Ayman Baalbaki, Janus Gate, 2021, matières mixtes, détail ©️Ayman Baalbaki

Danielle Arbid et Ayman Baalbaki, un binôme complémentaire

"La vidéo qui va être projetée fait partie de la série Ma Famille Libanaise, une œuvre qui répond, par ses prises de vue, à celle d’Ayman", explique Danielle Arbid. "Dans cette œuvre, mon personnage – qui est ma mère – est à l’image de ce pays: elle l’incarne, avec sa mentalité fataliste, son goût du risque, son exubérance. Elle est prise dans une course effrénée en quête d’argent, en voiture, à travers Beyrouth. Sa lutte est indissociable de la violence qui prévaut aujourd’hui au Liban et qui fut aussi celle vécue dans d’autres pays, en Europe ou ailleurs."

De son côté, Ayman Baalbaki souligne: "Mon point de départ a été la ville de Beyrouth que je perçois comme une ville riche d’ ‘espaces autres’ au sens où l’entendait Michel Foucault. Sur le modèle du mot "libanisation", qui désigne la fragmentation d’un État, ‘Beyrouthisation’ qualifie des lieux perturbés par la présence de barricades et de frontières – pour parler, autrement dit, du démembrement urbain d’une ville et de sa fragmentation en îlots séparés. J’ai pensé alors à Janus, le dieu romain qui regarde à la fois vers l’intérieur et vers l’extérieur, le passé et le futur. J’ai construit une installation en 3D où deux espaces coexistent: un extérieur radieux et un intérieur qui ressemble à l’image fantasmée de tous les bidonvilles du monde.

Danielle Arbid, Allô Chérie, 2015- éd. 2022, vidéo still ©️ Danielle Arbid

La scénographie

L’exposition Le monde à l’image de l’Homme prendra place dans l’une des salles de l’Arsenal de Venise, bâtiment classé monument historique. La scénographie du Pavillon libanais devait répondre au projet curatorial, à savoir la notion de dialogue qui est cruciale dans l’esprit de ce projet.

En écho aux œuvres de Danielle Arbid et d’Ayman Baablbaki, l’architecte Aline Asmar d’Amman propose un circuit au cœur du Liban qui "prend la forme d’une coquille elliptique brute évoquant l’éternel vœu de renaissance et d’unité. La forme géométrique enveloppante invite les œuvres à dialoguer sans artifice, en vis-à-vis, raccourcissant les distances, comme dans une conversation innée et naturelle".