Sept mois après l’ouverture des débats, le son et les images de l’attaque du Bataclan ont été diffusés vendredi au procès des attentats du 13 novembre. La salle retient son souffle, puis entend et regarde l’horreur en face. 

Les accords du groupe Eagles of Death Metal surgissent dans la salle d’audience. Dans le box, comme la plupart de ses coaccusés, le seul membre encore en vie des commandos jihadistes, Salah Abdeslam, regarde le sol.

Sur les bancs du public, environ 250 victimes et proches, qui souvent s’étreignent avant de s’assoir.

Certains n’étaient jamais entrés dans la salle d’audience. D’autres, nombreux, n’y étaient pas venus depuis l’automne, quand ils s’étaient succédé pendant cinq semaines à la barre pour raconter leurs souvenirs de cette nuit où 130 personnes ont été tuées à l’arme de guerre à Paris et Saint-Denis.

La cour d’assises spéciale a décidé de faire droit à une demande répétée de l’association de victimes Life for Paris: diffuser des extraits de l’enregistrement audio de deux heures et demi de la tuerie du Bataclan, capté par un dictaphone laissé allumé, et " montrer " les photos du massacre de 90 personnes.

Comme dans n’importe quel procès d’assises, même si c’est " totalement douloureux, affreux, morbide ", avait plaidé l’avocat de l’association, Me Jean-Marc Delas.

" On court "

Dans un lourd silence, le président lance les enregistrements. La musique et la ferveur d’un concert, interrompus quelques secondes plus tard par les tirs incessants des kalachnikovs. Les tirs s’arrêtent un instant.

On devine l’incompréhension, avant d’entendre les cris de peur et les hurlements de douleur. Puis à nouveau les tirs, dans une cadence accélérée, parfois au coup par coup. Encore des cris, des râles.

" Deuxième extrait ", annonce le président Jean-Louis Périès. Un otage à la voix glacée hurle: " ils ont des engins explosifs, ne venez surtout pas, sinon ils feront tout péter ". L’homme est aujourd’hui assis dans la salle d’audience.

Dernier extrait, la bande son de l’assaut final. Un brouhaha confus, des détonations, des cris apeurés – " on est des otages ", " y’a mon mari à l’intérieur " – puis l’évacuation et les instructions scandées par les forces de l’ordre: " on court, on court, on court !, ", " on lève les mains ! ", " continuez, continuez ! "

Silence. " On va ensuite procéder à la projection de certaines photos ". Une dizaine de personnes quittent les lieux.

Si les témoignages des victimes avaient permis de ressentir l’horreur, la cour n’avait – de manière inhabituelle aux assises – montré que quelques rares photos des scènes de crime. Quelques plans larges des tueries des terrasses parisiennes, des explosions au Stade de France. Rien pour le Bataclan.

Durant leurs exposés, les enquêteurs avaient utilisé des photos de la salle de concert remise à neuf.

" Autre angle "

Le président fait baisser les lumières et d’un ton sobre – " on voit l’entrée ", " là la fosse vue d’un autre angle " – entraîne la salle dans une macabre visite guidée, au fil d’une trentaine de photos diffusées sur l’écran géant.

D’abord le sol parsemé de bris de verre à l’entrée du Bataclan, les sacs à main abandonnés, les larges traînées de sang puis " les corps, les corps, les corps ", comme l’avait décrit un policier au début du procès en septembre.

Ici, des hommes et femmes tombés les uns sur les autres, là, une montre qui scintille au bout d’un bras sans vie. Des sanglots retentissent. Les lumières se rallument, le tout aura duré moins d’une demi-heure. Suspension d’audience.

" J’étais dans la fosse, l’ami avec qui j’étais est mort dans mes bras. Ce sang, je sais à qui il appartient ", réagit Marie à l’extérieur. Elle voulait que " les gens sachent ", qu’ils voient que " ce n’était pas seulement la France qui était attaquée, pas qu’un symbole, mais moi, nous tous ".

" Ça a duré vingt minutes et ça a suffi pour se rendre compte de l’horreur ", dit le président de Life for Paris, Arthur Dénouveaux, qui avait besoin de " confronter ses souvenirs à quelque chose de tangible, réel, vérifiable ". Pour les parties civiles, certifie-t-il, " il y aura un avant et un après ".

Avec AFP