Jusqu’au 22 mai à Paris, l’exposition Yémen: sous les ruines, la poésie met en lumière les beautés occultées d’un pays ravagé par une guerre oubliée.

Aux Amarres, un tiers-lieu solidaire et festif à la programmation artistique engagée, situé 24 quai d’Austerlitz dans le 13e à Paris, Yémen: sous les ruines, la poésie répond à un double hommage. Le premier, intime, né du désir de la commissaire d’exposition Izia Rouviller de partager le travail photographique de son père, Joël Rouviller, à la suite de son décès en 2020. Loin des images de la guerre unanimement relayées par les médias, les clichés pris par le photographe amateur en 1992 rappellent la facette enchanteresse du pays. À cet hommage posthume s’ajoute une volonté d’honorer la résilience d’un peuple.

C’est pourquoi l’exposition accueille également les créations de deux artistes contemporaines originaires du Yémen. Wrya Eyes, graffeuse membre de l’Atelier des artistes en exil, et Raghd Ba Kermoom, étudiante poursuivant le diplôme national des métiers d’art et du design à Marseille, posent un regard intime et sensible sur leur terre d’origine. Au gré de la visite, les cartels de l’exposition se chargent de faire le lien avec l’actualité du conflit et de la crise humanitaire en cours, pour sensibiliser les visiteurs à la situation de ce pays trop peu connu de la péninsule Arabique.

La curatrice Izia Rouviller a répondu aux questions d’Ici Beyrouth.

Comment vous est venue l’idée de ce projet?

À l’origine de ce projet, il y a le décès de mon père, Joël Rouviller, survenu il y a deux ans. Il était photographe amateur. À sa mort, j’ai découvert tout un tas de photographies de jeunesse dont la puissance d’évocation m’a marquée. Étant en études d’art, je ne me voyais pas ignorer leur potentiel artistique. Parmi elles, des portraits et paysages pris lors d’un voyage au Yémen en 1992 m’ont particulièrement émue.

Intriguée par ce pays que je connaissais peu, je me suis renseignée et ai appris que le Yémen était en guerre depuis 2014 et ravagé par une crise humanitaire jugée comme la pire crise du XXIe siècle par l’ONU. L’envie de partager les photographies de mon père s’est mêlée avec celles de faire connaître les beautés de ce pays méconnu et de médiatiser ce conflit oublié. Une ambition qui n’est pas sans lien avec ma volonté de poursuivre mes études dans le journalisme.

Comment avez-vous choisi les artistes et les thématiques ?

J’ai mené des recherches sur internet afin de trouver des artistes yéménites réfugiés en France. Je suis tout de suite tombée sur Ahlam Jarban, de son pseudonyme d’artiste Wrya Eyes, considérée comme la première femme graffeuse yéménite. J’ai été marquée par ses créations engagées qui reprennent inlassablement le motif des yeux, seule partie du visage par laquelle les femmes intégralement voilées peuvent communiquer, et le mot "haram", qui signifie "interdit" en arabe et qu’elle s’est appropriée comme métaphore de son propre parcours de femme yéménite métissée.

Quant à Raghd Ba Kermoom, c’est elle qui m’a contactée de manière spontanée sur Instagram et s’est proposée pour participer à l’exposition. Ses créations plastiques et performances m’ont étonnée par leur diversité et leur degré de professionnalisme – Raghd est artiste étudiante. À travers ses œuvres, elle traite du biculturalisme franco-yéménite et de sa difficulté à vivre entre ces deux environnements spatiaux, culturels et linguistiques différents. Je leur ai à toutes deux laissé carte blanche. Je tenais à ce qu’elles s’expriment sans censure et qu’elles se laissent porter par ce que leur pays leur inspire, ce qu’elles souhaitaient partager avec le public.

Pourquoi cette exposition maintenant?

Cette exposition est tristement d’actualité puisque le Yémen est entré en 2022 dans sa huitième année de guerre. Pourtant, le conflit reste peu médiatisé au sein des médias occidentaux et français et, par conséquent, assez peu connu du grand public. Quand on compare le traitement médiatique de la guerre du Yémen avec celui de la guerre en Ukraine actuellement, le contraste est frappant. C’est pourquoi il est essentiel d’en parler et d’éveiller les consciences sur la situation du pays. Les cartels de l’exposition se chargent de faire ce lien entre les œuvres et l’actualité du conflit et de la crise humanitaire en cours. Symboliquement, la période d’exposition aux Amarres coïncide également avec l’anniversaire des deux ans de décès de mon père.

Les Amarres est l’endroit idéal pour toucher les différentes communautés: ce lieu est un formidable exemple de mixité sociale, grâce à sa programmation thématique sur les cultures du monde, son accueil de réfugiés en situation de précarité et son ouverture au public extérieur. La réception de l’exposition par la communauté yéménite m’a beaucoup touchée: tous se sont montrés enthousiastes et m’ont remerciée de mettre le Yémen en lumière. Ils n’ont pas l’habitude qu’on parle d’eux et de leur pays.

Une campagne de financement participatif a été lancée afin de soutenir les frais liés à la réalisation du projet, ainsi que l’action humanitaire de l’association Solidarités international au Yémen.