Ils sont " entrés dans l’Histoire avec discrétion ", en sont sortis souvent dans l’anonymat : une exposition rend hommage à Paris aux espions français de la Seconde Guerre mondiale, serviteurs du général de Gaulle et pionniers du renseignement hexagonal.

L’Ordre de la Libération et la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure, services secrets) propose une plongée dans le monde des 174 agents – sur les 1.038 hommes et femmes décorés de la Croix de la Libération – qui ont agi clandestinement sous l’ordre du général, installé à Londres. De dénominations successives en ajustements de leurs missions, ces espions formeront en 1942, il y a 80 ans, le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), ancêtre de la DGSE.

Plus du tiers (60) d’entre eux sont morts en opération, une proportion effarante. Mais leur efficacité n’est pas discutable : quand le président américain Franklin Roosevelt voulait écarter De Gaulle des négociations d’après-guerre, son chef des services admettait que le BCRA avait fourni 80 % des renseignements utilisés pour débarquer en Normandie.

L’exposition, qui se tient du 23 juin au 16 octobre dans les locaux de l’Ordre de la Libération aux Invalides, présente en trois temps le recrutement, la vie d’un agent et enfin ses fonctions.

Première surprise : l’ancêtre des services extérieurs français, qui par essence n’agissent qu’à l’extérieur du territoire, a justement fait ses premiers pas sur le territoire, dirigé depuis une capitale étrangère, Londres.

" Les services secrets vont être lien entre un gouvernement et le territoire national, ce qui est très inhabituel ", souligne l’historien et co-commissaire Sébastien Arlbertelli.

Deuxième surprise : les membres de ce service ont tous été formés dans une trentaine de bases en Grande-Bretagne où étaient enseignés le parachutisme, l’activité paramilitaire, la radio ou le cryptage.

" Les Anglais nous ont tout appris. Ça fait un peu mal, mais on peut le dire ", admet en souriant le représentant de la DGSE au commissariat de l’exposition. " On leur doit beaucoup en termes de méthodes, de techniques, de procédures ".

Les Anglais sont inventifs, notamment sur ces gadgets immortalisés ensuite par le cinéma, du rasoir au manche vide pour cacher un document, à l’épingle à chapeau aussi efficace qu’une dague. Il faudra des décennies pour que leur influence s’efface chez les espions de la République.

Mais l’exposition insiste moins sur la maison BCRA que sur les individus qui la composent.

Comme Laure Diebold, née Laure Mutschler, alias Mona, alias Mado, entrée à partir de mai 1942 au réseau de renseignements " Mithridate ". Secrétaire de Jean Moulin, elle est arrêtée en 1944, mais reviendra de déportation. Ou comme Marcel Suarez, ouvrier ajusteur, sportif de haut-niveau, à l’origine d’une vingtaine d’exécutions dans la clandestinité.

En partant pour la France, où il était déposé par un petit avion, parachuté ou déposé de nuit en bateau, l’agent se débarrassait des traces de sa vie londonienne et cultivait sa " légende " (nouvelle identité, nouveau passé).

Auparavant, il rédigeait un testament en emportant éventuellement la pilule de cyanure pour échapper à la torture. Mais à 20 ans, on fait de l’humour de tout. " En cas de perte irréparable pour la patrie, c’est à dire ma personne… ", écrivait ainsi un agent dans ses consignes post-mortem.

Beaucoup étaient des amateurs, pas forcément attirés par l’espionnage. Comme Daniel Cordier " qui va à Londres en juin 40 et veut tuer du boche ", explique Vladimir Trouplin, conservateur au musée de l’Ordre de la Libération. " Par dépit, il se retrouve agent au BCRA ". Il deviendra un membre illustre.

La suite ? Le BCRA deviendra DGSE. Et ses agents, ceux ont survécu, reprendront le cours de leur existence. Dont un certain Jacques Chaban-Delmas, futur Premier ministre. Mais la plupart, selon les propos du célèbre résistant Hubert Germain, " sont entrés dans l’Histoire avec discrétion ".