Depuis trois ans, les spécialistes rencontrent de plus en plus de tumeurs au sein, à un stade particulièrement avancé. En cause: la crise économique et financière qui sévit au Liban et qui pousse de nombreuses femmes à occulter le dépistage annuel.

La lutte contre le cancer du sein au Liban a connu un certain déclin au cours des trois dernières années, en raison notamment de la pandémie de Covid-19, conjuguée à la crise économique et financière. "Je n’ai pas les moyens de payer une mammographie", "J’ai perdu mon assurance", "L’assurance ne couvre pas", "J’ai des échéances plus importantes"… Autant d’excuses avancées par des femmes pour expliquer les raisons pour lesquelles elles ont raté leur rendez-vous annuel avec le dépistage du cancer du sein. Résultat: de plus en plus de tumeurs au sein sont dépistées à un stade avancé, voire métastatique.

Aussi, les spécialistes appellent-ils les femmes à renouer avec ce rendez-vous annuel, qui ne doit pas être limité au mois d’octobre, dédié à la lutte contre le cancer du sein. D’une part, parce que ce cancer reste le plus fréquent chez la gente féminine, une femme sur huit ayant un risque de le développer au cours de sa vie. Au Liban, la tumeur mammaire constitue près de 38% des cancers féminins, d’après le Registre national du cancer 2016 et près de 20% de l’ensemble des cancers. D’autre part, parce que des avancées majeures ont été réalisées au cours des dernières décennies, augmentant les chances de survie et de guérison de la patiente, voire une amélioration de son état de santé, en cas d’une récidive. Mais surtout, parce que les chances de guérison sont plus importantes lorsque la tumeur est diagnostiquée à un stade précoce. Elle varie entre 80% et 90%, selon le type de la tumeur mammaire.

Plusieurs types de cancer

De fait, il n’existe pas un, mais plusieurs types de tumeurs mammaires. La plus fréquente reste la tumeur hormonodépendante, c’est-à-dire celle qui est sensible aux hormones sexuelles, comme les estrogènes. "Nous disposons de traitements hormonaux pour les différents stades de ce type de cancer, explique à Ici Beyrouth Christina Khater, oncologue. L’une des avancées concerne le traitement hormonal en stade métastatique, dont l’efficacité a été améliorée grâce aux inhibiteurs CDK4/6". C’est un traitement oral qui agit sur les protéines CDK4 et 6, essentielles au cycle cellulaire, puisqu’elles contrôlent la vitesse de croissance et la division des cellules. En inhibant ces protéines, les cellules cancéreuses ne peuvent plus croître.

Le deuxième type de cancer est le statut de HER2 positif. Dans ce cas, les récepteurs HER2 présents à la surface d’une cellule augmentent de manière anormale. "Ce type de cancer bénéfice, depuis plusieurs années, d’un traitement qui cible la protéine HER2, fait remarquer la Dr Khater. Récemment, d’autres traitements ciblés sont venus s’ajouter à l’arsenal thérapeutique destiné à ce type de cancer. Actuellement, il est possible de raffiner le traitement ciblé pour chaque situation, même dans les cas métastatiques. Plus encore, lorsque la tumeur est opérable, la chimiothérapie et la thérapie ciblée sont données avant l’opération. Cela permet de réduire la taille de la tumeur. Dans certains cas, elle peut même disparaître. Nous parlons alors d’une réponse pathologique complète, qui augmente les chances de guérison. Cette approche thérapeutique est également adoptée en cas de cancer de type triple négatif. Celui-ci répond souvent à un traitement préopératoire, qui se traduit par une meilleure survie."

Le cancer de type triple négatif est le plus agressif. Dans ce cas, la tumeur est dénuée de récepteurs aux estrogènes et à la progestérone. Les protéines HER2 ne sont pas non plus exprimées de manière excessive. "Jusqu’à une période récente, nous ne disposions que de la chimiothérapie pour ce type de cancer, constate la Dr Khater. Mais depuis quelques années, une immunothérapie (traitement qui améliore l’immunité de l’organisme) a été introduite. Combinée à la chimiothérapie, que ce soit dans les situations locales ou métastatiques, elle améliore les résultats et permet de prolonger la survie. Le problème de ce traitement c’est qu’il est onéreux."

Des avancées ont également été notées dans le dépistage de mutations génétiques de type BRCA. "Des traitements ciblés existent pour ce type de cancer, mais en raison de leur coût, on a du mal à se les procurer", regrette la spécialiste.

Au cours des dernières décennies, des avancées majeures ont été réalisées, augmentant les chances de survie et de guérison d’une femme ayant un cancer du sein.

Accès aux thérapies

De fait, avec la crise financière qui sévit depuis plus de trois ans, l’accès aux thérapies basiques, mais aussi de pointe, est devenu un vrai parcours du combattant. "Nous avons souvent eu des ruptures de médicaments considérés essentiels pour le traitement du cancer en général, déplore Christina Khater. Cela s’est traduit par des ruptures dans le traitement, posant un risque d’évolution de la maladie. Sans oublier la souffrance émotionnelle que cela engendre. Les proches des patientes ont essayé de surmonter le problème. Certains ont réussi à ramener les traitements de l’étranger. Mais ce n’était pas le cas de tout le monde. De plus, nous avons souvent été confrontés à des situations où nous ne pouvions pas appliquer les traitements par manque de moyens, comme l’exérèse des ganglions sentinelles (le fait de retirer les premiers ganglions lymphatiques de l’aisselle pour s’assurer qu’ils ne contiennent pas des cellules cancéreuses), la pose d’un clip préopératoire, ou encore faire une IRM. Ces interventions sont très coûteuses et les assurances ne les couvrent pas systématiquement. Sans oublier que de nombreuses patientes n’ont pas d’assurance ou l’ont perdue. Autant de situations où il faut vraiment évaluer les priorités."

Après avoir été l’un des pays de la région qui offraient les traitements les plus pointus pour le cancer, le Liban est condamné à revenir à des protocoles de base. "Nous espérons que cette situation sera provisoire, confie la Dr Khater. Nous constatons une volonté officielle de faire avancer les choses, mais en imposant un meilleur contrôle, d’autant que par le passé, il y a eu beaucoup de dérives. À cela s’ajoutent un trafic de médicaments ou encore l’achat à l’étranger par des particuliers de médicaments périmés. Pour réglementer la situation, le ministère de la Santé a lancé la plateforme MediTrack. Elle permet de suivre chaque étape du parcours d’un médicament, depuis sa commande depuis l’étranger jusqu’à sa livraison au patient. Chaque patient a un identifiant unique et les commandes sont faites de manière nominale". D’après le ministre sortant de la Santé Firas Abiad, depuis la mise en place de ce système il y a près d’un mois, près de 70% des patients du cancer reçoivent leurs médicaments. Il a assuré que dans les semaines prochaines, l’ensemble des patients seront couverts de nouveau. Ce système englobera dans une étape ultérieure les maladies chroniques.

Le dépistage du cancer du sein consiste à effectuer une mammographie annuelle, à partir de l’âge de 40 ans si la femme n’a pas d’antécédents familiaux.

Principale cause de la maladie: être une femme

La principale cause du cancer du sein reste le fait d’être une femme. "Dans 80% des cas, les patientes n’ont pas d’autres facteurs de risque", avance la spécialiste, insistant sur l’importance du dépistage. Celui-ci consiste à effectuer une mammographie annuelle, à partir de l’âge de 40 ans si la femme n’a pas d’antécédents familiaux. Une échographie mammaire sera indiquée au cas où les seins sont denses ou si le radiologue estime que la mammographie ne suffit pas. En cas d’antécédents familiaux, c’est-à-dire si une parente du premier degré a été diagnostiquée avec une tumeur au sein, le dépistage doit commencer dix à quinze ans plus tôt que l’âge auquel la parente a eu son cancer. "Le dépistage se poursuit jusqu’à l’âge de 75 ans, précise la Dr Khater. Au-delà de cet âge, la femme décide avec son gynécologue ou son médecin de famille du protocole de dépistage à suivre."

Au nombre des facteurs de risque également: une première grossesse tardive, une ménopause tardive, le facteur génétique, l’obésité avant la ménopause, la cigarette, l’alcool (le fait de prendre deux verres d’alcool ou plus par jour est un facteur de risque reconnu) et l’hormonothérapie substitutive après la ménopause pendant plus de 5 ans. "Ce traitement a été en vogue pendant des années, mais actuellement il est administré de façon réduite notamment chez les femmes qui souffrent beaucoup des symptômes de la ménopause, principalement les bouffées de chaleur", conclut Christina Khater.