Le secteur de l’énergie a été au centre d’une rencontre organisée mercredi dernier par la plateforme 100% Liban, dans le cadre de ses rencontres sur le redressement économique. Ont pris part à cette rencontre modérée par Pamela Ibrahim Kossaïfi, coordinatrice de la plateforme, et Yasser Akkaoui, directeur de Executive Magazine: Joseph Assad, doyen de la faculté d’ingénierie de l’USEK, Amine Jules Iskandar, membre du Front chrétien, et Mounir Rached président de la Lebanese Economic Association.

À l’échelle nationale

Joseph Assad a exposé les défis, le potentiel, ainsi que les options en jeu pour le secteur de l’électricité au Liban. Il a évoqué à cet égard des principes de décentralisation intégrés à un système de gouvernance centralisé capable de gérer la planification et la coordination à l’échelle nationale. L’optimisation du rendement, affirme-t-il, est proportionnelle au volume mis en jeu. Pour atteindre des dimensions intéressantes, certains pays ont même commencé à mettre en place des réseaux communs. Ainsi, ramener la production énergétique à l’échelle communale, réduit le rendement et donc l’efficacité. À cet égard, le photovoltaïque permet la décentralisation bien plus que l’éolienne et l’hydraulique qui nécessitent des structures à l’échelle nationale.

Pour le doyen universitaire, le secteur privé peut être associé au secteur de l’énergie, mais en s’intégrant au processus global géré par l’État. Celui-ci doit être en mesure de pouvoir commander des augmentations ou des baisses de la production, voire des arrêts pour certaines périodes de l’année, afin d’éviter la surproduction, et donc le gaspillage et, dans certains cas, une pollution inutile. Pour certaines périodes où les besoins dépassent les capacités habituelles, les coopérations interétatiques sont en mesure de combler les déficits.

Joseph Assad déplore le retard dont fait preuve le secteur de l’énergie au Liban, tant au niveau technique que dans le cadre juridique. Certaines lois ont été promulguées pour permettre au secteur privé la production d’électricité photovoltaïque, mais pour une puissance limitée à 10 mW. Ces lois demeurent inchangées pour des durées allant jusqu’à une dizaine d’années, n’accompagnant nullement la rapidité de l’évolution technique dans le secteur.

À l’échelle municipale

De son côté, Amine Jules Iskandar a mis l’accent sur la dimension d’urgence qu’il a qualifiée de résistance. Alors que l’hémorragie se poursuit par une émigration incontrôlable de la jeunesse, il est impératif de mettre en place des structures aptes à assurer les besoins vitaux de la population.

M. Iskandar construit sa logique sur le principe de subsidiarité formulé dans l’encyclique Quadragesimo Anno du pape Pie XI. Ce principe suggère la construction de la société du bas vers le haut, rendant les prérogatives des municipalités ou des fédérations de municipalités inviolables. Ayant constaté la décomposition des institutions publiques au niveau du pouvoir central, il propose des solutions au niveau communal. Au Liban, l’initiative privée ayant fait ses preuves dans tous les domaines, elle ne demande à la collectivité que les éléments basiques que sont l’énergie et la sécurité.

Les fédérations de municipalités se voient donc investies de cette double mission qui doit être soutenue par la diaspora et par d’autres instances étrangères. Ainsi entrent en scène Bkerké et ses paroisses diasporiques, de même que des organismes arabes ou islamiques venus appuyer les municipalités sans passer par un pouvoir central discrédité. L’enjeu consiste à assurer des autonomies énergétiques dans les régions afin de permettre les développements dans le secteur privé.

Cette autonomie serait fondée sur les énergies renouvelables, telles que le photovoltaïque et l’éolienne dans un premier temps, et la micro hydraulique (moins de 1 mW) dans une seconde phase. L’intérêt de ce procédé de production est qu’il ne nécessite un financement que dans sa mise en place initiale, puisqu’il n’a plus besoin d’être réalimenté en carburant. En revitalisant ainsi les municipalités, celles-ci pourraient assurer la sécurité en développant leurs polices.

Certains villages ont déjà réussi la mise en place de leur production électrique indépendante grâce au photovoltaïque, bien que le système soit encore imparfait au niveau de la gestion. Il s’agit de Beit-Mellét, Bcheelé (avec 0,3 mW) et Jabboulé (avec 0.8 mW). La micro hydraulique est aussi intéressante puisque 0,1 mW peuvent assurer l’électricité à 125 foyers. Elle n’est cependant envisageable que dans le cas d’un effondrement total du pouvoir central qui exerce encore son monopole sur les cours d’eau.

Bien que moins rentable au niveau de la production, la décentralisation permet de réduire les pertes qui s’élèvent actuellement à 800 millions de dollars, soit 35% du coût total, à cause des distances parcourues par les circuits d’alimentation.

Le gaspillage

Pour Mounir Rached, centraliser ou décentraliser n’a qu’une importance d’ordre secondaire. L’enjeu pour lui est le coût de cette électricité. À cet égard, il a évoqué le gaspillage, la corruption et les cas des bateaux générateurs d’électricité. Il a surtout insisté sur l’importance du volume de production pour la rentabilité. À cause des petits générateurs épars, notre électricité nous revient 15% plus cher que celle engendrée par une centrale capable de produire 600 mW, explique-t-il. Ceci implique une perte annuelle de 3 milliards de dollars.

Les questions et réponses qui ont suivi portaient notamment sur l’étendue de la corruption qui efface tout espoir de règlement de la question de l’énergie au Liban. La rentabilité est certes dans un système centralisé, mais celui-ci a déjà fait la preuve de son incapacité à fonctionner. Décomposer et déléguer ce secteur aux fédérations des municipalités, serait-il une option plausible pour permettre un fonctionnement minimal et une relance de l’économie?