La " cancel culture ", une " forme de colonisation idéologique " (Pape François)

Une forme de néolibéralisme emporte parfois de manière excessive la société, notamment parmi ses milieux intellectuels. Une pensée élitiste mondialiste rêve de l’abolition des frontières, des nations, des religions et des identités. Cela est tout à fait légitime et constitue naturellement l’un des nombreux courants qui composent ensemble et dans leurs contradictions, le paysage sociopolitique. Le problème est que les tenants de cette idéologie demeurent convaincus que leurs principes sont fondés sur la doctrine de l’Église. Il leur arrive de faire dire au pape François et au Vatican tout ce qui conforte leurs convictions et leurs opinions concernant l’humanité en général, et le Liban en particulier.

Selon cette élite libérale et mondialiste, le pape François serait opposé au concept d’identité perçue comme destructrice, meurtrière et inhumaine. L’Eglise préconiserait l’ouverture et le vivre-ensemble qui seraient contraires aux valeurs identitaires porteuses de haines, de fanatisme et d’isolationnisme. Ecoutons alors les déclarations du pape afin de bien comprendre la pensée dogmatique chrétienne dans ses nuances et ses subtilités qui s’accommodent mal des généralisations simplistes.

La " cancel culture "

Contrairement à toutes les attentes, le 10 janvier dernier, dans la salle des Bénédictions, devant le Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, le pape a fermement critiqué la nouvelle tendance dite " cancel culture " qu’il a qualifié de " forme de colonisation idéologique ". Elle est hégémonique et totalitaire en ce qu’elle envahit tous les domaines et enfreigne la liberté d’expression. Sous prétexte d’égalité entre tous et " au nom de la protection de la diversité ", avance Sa Sainteté, le concept d’identité est combattu jusqu’au rejet de toute forme de particularité. L’homogénéité s’impose dans une intransigeance envers les positions nuancées " qui défendent une idée respectueuse et équilibrée des différentes sensibilités ". Nous sommes face à une négation de l’histoire, et à sa réécriture adaptée et soumise à l’idéologie de cette culture que le pape définit comme " liquide " et à ses concepts contemporains minés par le relativisme. Le pape appelle à lutter contre cette forme de pensée relativiste qui dissous l’histoire, l’identité, la Vérité et l’humanité.

Une Europe chrétienne

Même lorsque, dans les colonnes de la Stampa du 9 août 2019, le pape dénonce le souverainisme qu’il ose comparer au nazisme, ses propos restent nuancés. Il reconnaît à l’Europe une histoire et une identité qu’il convient de sauver. Il souligne l’importance de son patrimoine " qui ne peut pas et ne doit pas se dissoudre ". Loin de diaboliser la question identitaire, et en total contraste avec ses prises de positions pro-migrants, il avance que " l’Europe a des racines humaines et chrétiennes ", et que l’identité, qui est " une richesse culturelle, nationale, historique et artistique ", constitue une valeur non négociable. Rajoutons que ce qui s’applique aux pays, s’étend pareillement aux groupes humains, aux communautés et aux composantes sociales. La revendication de leurs particularités identitaires n’a rien à voir avec le fanatisme, encore moins avec le racisme. Bien au contraire, c’est la négation de la diversité qui relève de la véritable xénophobie.

L’identité, l’histoire et les racines

Lors de son discours au collège San Carlo de Milan, le 6 avril 2019, le pape François a exhorté les étudiants à s’attacher à leur identité et à la faire fructifier. Il leur a demandé de se rapprocher des anciens qui " sont la mémoire du peuple " et d’honorer leurs racines sans craindre d’entraver le principe d’altérité. Car il n’y a aucune opposition entre la connaissance de soi et l’ouverture à l’Autre. C’est d’ailleurs sur le principe de l’identité que se fonde le dialogue entre les peuples, précise le souverain pontife. En dehors de cette valeur, il n’y a que des illusions, des modes éphémères, et ce qu’il compare à des feux d’artifice dont les lumières ne brillent pas au delà de quelques minutes. " Nous ne sommes pas des champignons, nés seuls, non : nous sommes des gens nés dans une famille, dans un peuple… " insiste-t-il en fustigeant une fois de plus la culture " liquide " qui nous pousse vers le néant du nihilisme. Avant de rajouter : " Le patriotisme, c’est l’appartenance à une terre, à une histoire, à une culture… et ceci, c’est l’identité ".

En 2018, le souverain pontife avait aussi déclaré à la fondation Scholas Occurrentes, que l’identité, l’histoire et les racines sont un trésor qu’il faut protéger. Et que c’est leur abandon progressif qui est à l’origine du renfermement des sociétés sur elles-mêmes, leur isolement et le refus de l’altérité.

Le cas du Liban

Toutes ces valeurs, le pape François les a reprises pour le cas particulier du Liban. Il a non seulement mis en garde contre la dissolution de l’identité libanaise, mais il souleva l’importance cruciale des particularités au sein de cette dernière en mentionnant le cas de la composante chrétienne qu’il refuse de voir réduite au statut de minorité. " Les Chrétiens constituent le tissu conjonctif historique et social du Liban, a-t-il dit, et à travers les multiples œuvres éducatives, sanitaires et caritatives, la possibilité de continuer à œuvrer pour le bien du pays, dont ils ont été les fondateurs, doit leur être assurée ".

Et toujours en contraste avec ses nombreuses déclarations en faveur des migrants, le pape François revient à son inclination pour les nuances. Comme il l’avait fait au collège de San Carlo de Milan, il rappelle que bien que l’accueil soit une source de richesse, il convient aux Etats d’évaluer leurs capacités d’intégration. Et de préciser que la présence des réfugiés palestiniens et syriens doit être réglée car " affaiblir la communauté chrétienne risque de détruire l’équilibre interne du Liban et la réalité libanaise elle-même ".

Ce dossier n’a donc rien de xénophobe et n’est nullement en contradiction avec les préceptes de l’Eglise, pas plus que l’attachement aux particularités culturelles et identitaires et aux garanties politiques qui les protègent. Pour que le Liban puisse être un message de convivialité islamo-chrétienne, encore faut-il s’assurer que les composantes puissent continuer à exister et de manière active et influente.