Au Royaume-Uni où résident près de 28,000 Libanais, les expatriés se mobilisent et s’organisent dans la perspective du scrutin qui va leur permettre de participer à l’élection des 128 députés du Parlement libanais. Ils ont grand espoir dans ce scrutin et dans leur aptitude à contribuer aux changements et aux réformes dans le pays, même si ce changement reste timide. Quel regard portent-ils sur les législatives du printemps?  Ici Beyrouth a recueilli les avis de membres de la communauté libanaise qui se sont inscrits et attendent de remplir leur devoir civique.

C’est le 8 mai prochain que les Libanais installés à l’étranger se rendront aux urnes. Pour eux, le principal enjeu de cette consultation populaire est l’initiation d’un véritable changement. En ligne de mire, la reconquête du Parlement par des indépendants, la société civile et les partis souverainistes, tous mobilisés contre une majorité au pouvoir conspuée par un grand nombre de Libanais.

Activiste de la première heure, Rima Medawar qui a posé ses valises à Londres depuis deux ans, se décrit comme ʺune passionaria du drapeau libanaisʺ. Tablant sur la jeunesse pour " sauver " le pays, Rima estime qu’il existe un conflit de générations au regard des législatives. ʺLes personnes âgées qui ont vécu la guerre et qui ont dû repartir de zéro, rebâtir à plusieurs reprises leurs maisons et leurs biens détruits, accusent certes à juste titre une lassitude et un défaitisme grave, mais les jeunes ne doivent pas prêter attention aux discours blasés de l’ancienne génération qui ne croit pas en un changement,ʺ martèle-t-elle.

Affichant un optimisme sans failles, elle rappelle que ʺles élections syndicales et universitaires, celles des ordres des avocats et des dentistes, ont réussi à générer une élite honnête et dévouée ". " Ceux qui y ont pris part se sont démenés pour avoir des représentants intègres et compétents à la tête de ces organismes et ont réussi. La politique et le Parlement suivront ʺ, assène-t-elle, confiante.

La majorité parlementaire 
Portant le Liban dans son cœur, Amal Courban Hallak qui vit depuis 30 ans dans la capitale anglaise, ronge son frein en attendant le 8 mai. Pour elle, " voter est plus que jamais une priorité ". " Nous attendons de voir qui seront les candidats pour étudier de près leur parcours et leur programme. Notre objectif est d’en finir avec cette caste corrompue et de lui substituer des hommes d’État ", affirme Amal, tout en reconnaissant qu’il sera " difficile de déloger tous ". " Peut-être que cela arrivera un jour, lorsque ma génération ne sera plus de ce monde, mais si on peut avoir une trentaine de nouveaux élus intègres et compétents dans l’hémicycle et gagner la majorité à la Chambre, nous aurons réussi à inverser par le vote le cours de l’histoire et à nous réapproprier notre pays ", poursuit-elle. " Ce sera le début d’un changement bénéfique, " assure-t-elle.

Au demeurant, qu’en est-il du nombre de votants ? Aux dernières législatives de 2018, 82 965 Libanais de l’étranger s’étaient inscrits auprès de leurs ambassades respectives. Plus de 220 000 expatriés se sont inscrits pour l’échéance du printemps, soit environ trois fois plus qu’il y a quatre ans. D’après une source du ministère des Affaires étrangères, 6 500 Libanais se sont inscrits au Royaume-Uni. C’est dire la volonté des expatriés libanais d’œuvrer en vue d’un changement politique dans le pays.

Désarmer le Hezbollah
À moins de trois mois du scrutin, votant à Baalbek et vibrant au rythme d’un Liban qui demeure au centre de ses préoccupations, Hana Haidar qui vit à Londres depuis quarante ans, affiche une confiance mesurée, en laissant entendre qu’un changement s’avère difficile à cause d’une conjoncture favorable au Hezbollah. ʺJe voterai quand même pour l’opposition ", souligne-t-elle en estimant toutefois que " le scrutin est nécessaire mais pas suffisant pour aller de l’avant ʺ.

Et d’expliquer : ʺ nous évoluons en pleine ‘période chiite’ dans la région. Je ne pense pas que le Hezbollah va se départir de sa force de frappe. Pour le moment, la milice chiite dirige le pays où nous sommes devenus des citoyens de seconde zone, des dhimmis ʺ. Pour en finir avec les armes du Hezbollah, Hana mise sur ʺun consensus international sans lequel il ne sera pas possible de désarmer une milice financée et armée par l’Iran pour exécuter l’agenda des Mollahʺ. Elle insiste sur le fait que ʺ seul un accord international à l’instar de celui qui avait chapeauté le départ de l’OLP du Liban en 1982, garantirait la libération du pays du joug de la milice pro-iranienne.ʺ

Un changement sur le long terme
Quant à Rémy, architecte, il est sûr que ʺtout vient à point à qui sait attendre et surtout à qui sait œuvrer diligemment pour le pays ʺ. Misant sur la durée, il précise que ʺ la consultation populaire du printemps apportera certes un changement positif " qui représentera un ʺpremier pas vers un changement plus grandʺ. Il ne prévoit pas ʺun raz-de-marée des forces anti-pouvoir au Parlement ou une solution miracleʺ à la faveur du scrutin de mai.

D’après son analyse, ʺ il faut compter avec le facteur temps ". " Il va falloir travailler et construire progressivement. Nous aurons toujours un nombre plus grand de représentants différents de la classe politique actuelle. Il va falloir attendre les prochaines élections (en 2026) pour un changement plus soutenu car nous tablons entre-temps sur l’éducation citoyenne, un changement des mentalités, de nouvelles pratiques civiques, un changement des relations entre les citoyens et le gouvernement, des améliorations culturelles en somme, qui si elles se matérialisent, nous mèneront sur la bonne voieʺ.

C’est que la procédure électorale ne favorise pas un changement radical, à cause d’une loi hybride, une sorte de scrutin uninominal (en raison du vote préférentiel) couplé à une représentation proportionnelle qui donne l’avantage aux grands partis et qui augure d’une difficulté supplémentaire pour les indépendants.

Un État de droit 
Mais rien n’est difficile pour Pamela Hajal,  jeune chercheuse à l’Institut de l’étude de développement (IDS) de l’Université de Sussex, qui œuvre plus précisément dans la recherche au niveau du développement des gouvernements. ʺEn plus de nouveaux députés intègres, nous avons surtout besoin d’un État qui fonctionneʺ, confie-t-elle à Ici Beyrouth.

Déplorant la dépendance financière du Liban qui le rend tributaire d’aides étrangères, s’élevant contre ʺ l’absence de vision de l’État et un pouvoir miné par la corruptionʺ, Pamela Hajal insiste sur le fait que ʺ les nouveaux élus devront s’atteler à la lourde tâche de faire fonctionner un système défaillant et dysfonctionnel ʺ. Concernant la surveillance du scrutin, la chercheuse préconise ʺle soutien de la communauté internationale qui pourrait aider en mobilisant des jeunes sur place, lesquels prôneraient l’importance et la transparence des électionsʺ.

Pamela qualifie de " moribonds " les partis traditionnels tels que le CPL (Courant patriotique libre), Amal et Hezbollah. Elle voit dans leur alliance, alors que les relations entre les deux premiers n’est pas au beau fixe, " la preuve de leur faiblesse et de leur crainte de perdre le pouvoir ". Pour cette Libanaise de Londres, ʺ le comble est qu’ils forment un bloc contre nous tous, indépendants, société civile, souverainistes, mouvements anti-corruption ʺ. Et de conclure sur un souhait qui lui est cher, ʺ un système éducatif réformé qui inclurait l’éducation civique et l’importance de la notion de citoyenneté pour les nouvelles générations.ʺ

Dans un contexte d’effondrement général du Liban et de grande défiance à l’égard de la classe politique, la diaspora libanaise veut peser de tout son poids dans la balance. Les émigrés sont confiants que la consultation de mai sera décisive. L’enjeu pour eux est la survie du Liban en tant que nation et en tant qu’État.