L’ancien chef de gouvernement Fouad Siniora reste imperturbable face aux critiques formulées à son encontre par les adhérents du Courant du Futur. Il a fait le choix de ne pas y répondre dès le départ et sa conférence de presse de mardi en est la preuve vivante. Il n’a pas ainsi répondu au secrétaire général du parti, Ahmad Hariri, qui lui avait indirectement reproché l’appel qu’il avait lancé le 23 février dernier à la communauté sunnite, la pressant de participer aux législatives, au niveau des candidatures et du vote. Ce jour-là, Ahmad Hariri avait publié sur son compte Twitter un portrait du chef du Futur, Saad Hariri, flanqué du commentaire : "Seule votre position me représente". Une façon de dire à la rue sunnite que Fouad Siniora ne la représente pas. C’était le point de départ d’une véritable épreuve de force entre les deux anciens Premiers ministres, Fouad Siniora n’étant pas du tout d’accord avec la stratégie de Saad Hariri, en raison de l’impact négatif de celle-ci sur le double plan sunnite et national.

L’attention de M. Siniora reste actuellement centrée sur les moyens de constituer un leadership collectif pour mener les élections dans les régions sunnites, notamment à Beyrouth et dans le nord du pays, afin de combler le vide laissé par le désengagement politique et électoral de Saad Hariri qui avait interdit aux cadres et membres du parti de s’engager dans la bataille électorale, à moins qu’ils ne démissionnent, lequel cas ils se présentent à titre de candidats indépendants aux élections. C’est ce que Moustapha Allouche a d’ailleurs fait, s’attirant les foudres des partisans du Futur, soucieux de suivre les instructions de leur chef.

Dans ses cercles privés, M. Siniora fait part de ses craintes de voir le Hezbollah et ses alliés remporter plus des deux tiers des sièges au Parlement, ce qui permettra à la formation pro-iranienne d’atteindre deux objectifs. Le premier se rapporte à un amendement de la Constitution qui requiert le vote des deux tiers des membres du Parlement et à travers lequel le Hezbollah pourrait, entre autres, introduire une clause qui légitimerait ses armes, alors que le texte actuel de la Constitution concentre le port d’armes aux mains des forces régulières. Si le Hezbollah atteint cet objectif, les résolutions internationales, en particulier les résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité, qui résument à elles seules les revendications à la fois extérieures et intérieures pour désarmer le parti, seront vidées de leur sens, car en contradiction avec le texte de la Loi fondamentale.

Le deuxième objectif se rapporte à la présidentielle. Une victoire du Hezbollah et de ses alliés aux élections, avec une majorité des deux tiers des sièges au prochain Parlement, les dotera du pouvoir absolu de hisser à la tête de l’Etat une personnalité de leur choix, sans avoir à se concerter avec le reste des partis libanais, comme cela avait été le cas lors des élections de 2016. À l’époque, le Hezbollah s’était vu contraint de sceller un accord avec Saad Hariri pour assurer la majorité des voix requises à l’élection du fondateur du CPL, Michel Aoun, à la présidence de la République.

A ces craintes, Siniora ajoute celle d’une mainmise totale du Hezbollah sur le Liban, qui dotera l’Iran, auquel cette formation est viscéralement liée, d’une influence officielle incontestée sur le pays. Ce faisant, le Hezbollah aura atteint le but ultime fixé depuis sa création dans les années 80, en se faisant l’instrument d’une satellisation du Liban et en arrachant le pays à son environnement arabe, consacré dans la Constitution actuelle.

Pour toutes ces raisons, Fouad Siniora a choisi de mener la bataille électorale jusqu’au bout en prenant le risque de perdre et, surtout, d’irriter Saad Hariri. Il explique que son choix a été favorablement accueilli aux niveaux sunnite d’abord, national ensuite et arabe pour terminer. Lorsqu’il est interrogé sur ses attentes concernant les résultats des élections, il rappelle les trois possibilités qui existent : échouer, limiter les dégâts, ou vaincre. Mais les enjeux liés à cette échéance sont tellement importants, voire existentiels, qu’il ne pouvait pas garder les bras croisés et assister, immobile, à l’anéantissement du Liban.