Face à l’affaiblissement de Moscou dans la région, Ankara compte bien renforcer sa présence en Asie centrale, en jouant sur la proximité culturelle avec ses frères turcophones, ainsi que sur la vente d’armements militaires. Le président Erdogan s’est rendu au sommet de l’Organisation des États turciques, à Samarcande,  où il a exprimé la volonté d’accélérer les efforts d’intégration entre les Républiques turciques. 

Il s’agit du troisième déplacement du président turc en Asie centrale en deux mois, signe de ses efforts pour resserrer les liens avec les ex-républiques soviétiques turciques de cette région (AFP)

 

 

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a appelé vendredi en Ouzbékistan les États turciques d’Asie centrale, carrefour énergétique et commercial majeur, à renforcer leur coopération avec Ankara, espérant profiter de l’affaiblissement Moscou, ex-puissance tutélaire enlisée en Ukraine.

Face à la guerre en Ukraine qui a ouvert une " période délicate et pleine de risques, il devient encore plus nécessaire de renforcer notre coopération, notre solidarité et notre harmonie ", a déclaré M. Erdogan lors d’un sommet de l’Organisation des États turciques (OET) à Samarcande.

Il s’agit du troisième déplacement du président turc en Asie centrale en deux mois, signe de ses efforts pour resserrer les liens avec les ex-républiques soviétiques turciques de cette région et du Caucase avec lesquelles la Turquie partage des liens culturels, linguistiques et religieux.

Devant ses homologues de la région, M. Erdogan a aussi plaidé pour la mise en place " dès que possible " d’un Fonds d’investissement turcique, qui permettrait de renforcer la coopération économique entre ces pays.

Fondée en 2009 sous le nom de " Conseil turcique ", l’OET regroupe quatre ex-républiques soviétiques du Caucase (Azerbaïdjan) et d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan et Ouzbékistan), ainsi que deux pays observateurs: le Turkménistan — autre pays ex-soviétique d’Asie centrale — et la Hongrie.

Avec cet outil, Ankara espère accroître son influence dans une région dominée depuis des décennies par Moscou qui, même après la chute de l’Union soviétique, a conservé sa mainmise à travers des alliances militaires et économiques.

Mais l’invasion russe de l’Ukraine, fin février, a ouvert des brèches en détournant l’attention de Moscou et en suscitant l’inquiétude des pays de la région, qui regardent plus que jamais ailleurs, vers la Chine mais aussi l’Europe.

Briser la domination russe de la région
La Turquie commémorait ce jeudi l’anniversaire de la mort de Mustafa Kemal Atatürk (AFP)

 

 

Le président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev, à la tête du plus riche des pays centrasiatiques, a souligné lors du sommet l’importance de " l’intégrité territoriale de tous les États ", s’opposant ainsi à l’annexion de régions ukrainiennes par la Russie, malgré les liens forts entre Astana et Moscou.

Le dirigeant kirghiz, Sadyr Japarov, a lui insisté sur la " nécessité de collaborer plus étroitement sur le plan commercial " au sein de l’OET en raison de la " crise actuelle ".

Principale annonce du sommet, Ankara a indiqué que l’autoproclamée République turque de Chypre-Nord, non-reconnue par la communauté internationale, allait rejoindre l’OET comme membre observateur.

Ce sommet et les fréquentes visites de M. Erdogan illustrent l’espoir d’Ankara de donner plus d’ampleur à l’OET, après des décennies de domination incontestable de la région par Moscou.

" Depuis le début de ce rêve de création d’une communauté turcique, le poids et l’influence de la Russie ont été des obstacles ", explique à l’AFP Bayram Balci, docteur en sciences politiques affilié à Sciences Po et ex-directeur de l’Institut français d’études sur l’Asie centrale.

Mais cette influence russe s’érode depuis quelques années, notamment depuis la guerre du Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 2020, et surtout l’invasion de l’Ukraine par Moscou cette année.

" La Turquie récolte indirectement les fruits des échecs et des erreurs de la Russie, qui permettent à d’autres pays de s’implanter ", selon M. Balci.

Une influence turque limitée 
Devant ses homologues de la région, M. Erdogan a plaidé pour la mise en place " dès que possible " d’un Fonds d’investissement turcique (AFP)

 

 

Pour Andreï Grozine, spécialiste russe de l’Asie centrale à l’Institut des pays de la Communauté des États indépendants, " toute activité en Asie centrale est perçue par Moscou (…) comme indésirable ".

Mais la Turquie et la Russie, qui coopèrent par ailleurs sur plusieurs dossiers, pourraient trouver un terrain d’entente pour essayer d’exercer une influence conjointe, car leurs intérêts ne sont " pas incompatibles ", dit-il.

Selon M. Balci, les États centrasiatiques " feront partie de ces deux unions (turque et russe) en prenant ce qui les intéresse et rejetant ce qui ne les intéresse pas ".

Si la Turquie s’efforce de vendre des drones militaires aux ex-républiques soviétiques et d’exercer aussi un soft power via des projets culturels, les échanges commerciaux restent limités à ce stade par rapport aux autres puissances.

Selon des données du Centre international du commerce, un organisme dépendant de l’Organisation mondiale du commerce et de l’ONU, le volume des échanges turco-centrasiatiques en 2019 s’élevaient à quelque 7,3 milliards de dollars. Bien loin derrière la Russie et l’Union européenne (environ 29 Mds) et la Chine (25 Mds).

Avec AFP