De Nuremberg à Coblence! Paradoxe significatif de l’évolution des temps, la ville de Nuremberg en Allemagne avait accueilli il y a plus de 75 ans le procès des criminels de guerre nazis après la victoire des Alliés lors de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, une deuxième ville allemande, Coblence en l’occurrence, accueille à son tour le procès d’un ancien officier des services de renseignements du régime Assad, reconnu coupable de torture et d’assassinat d’opposants détenus dans les geôles du régime, et condamné à la prison à vie.

Cette démarche peut être qualifiée d’historique, ne serait-ce que pour la symbolique qu’elle revêt. Créera-t-elle un précédent pour ouvrir le dossier des crimes et atrocités commises par le régime syrien contre sa population depuis le déclenchement de la révolution de 2011?

Il serait cependant déplacé de comparer le procès de Coblence à ceux de Nuremberg, même s’il est tout aussi important que ses précédents en termes d’audace et au regard de la réponse qu’il apporte aux crimes contre l’humanité sans cesse perpétrés en Syrie. Certes, la donne et les circonstances internationales diffèrent: l’ampleur et l’impact des atrocités et incomparable, et les rapports de force sont incomparables, le régime tyrannique et oppressant n’a pas été vaincu, et continue de bénéficier d’un soutien et d’une immunité aux plans régional et international.

L’ex-colonel des services de renseignement, Anouar Raslan, a été reconnu coupable de 27 meurtres et de 25 cas d’agressions sexuelles, ainsi que de participation à la torture et au meurtre de détenus dans les prisons du régime à l’époque, où il était officier responsable d’une des branches des services de renseignement durant les deux premières années du début de la révolution syrienne, avant de trouver refuge en Allemagne en 2014, où il pensait jouir d’une protection.

De ce fait, ce précédent pourrait-il se réitérer et atteindre les autres criminels de guerre du régime, ô combien nombreux, et créer une brèche dans ce mur épais de la criminalité, pavant ainsi la voie aux poursuites à l’encontre du régime et de son maître?

Un autre procès a suivi celui de Coblence, dans une autre ville allemande, Francfort. Ce procès vise un autre tortionnaire abject du régime, le médecin Alaa Moussa, accusé de crimes de guerre pour des crimes commis à l’hôpital militaire Teshrin dans la ville de Homs, où cette brute achevait les civils blessés!

Moussa a explicitement reconnu les faits avec une franchise glaçante devant la cour : " J’ai tué dans les hôpitaux syriens des blessés opposants au régime de Bachar el-Assad parce qu’il s’agissait de terroristes ". Ce médecin incarne de manière abrupte et flagrante les procédés du régime Assad et sa brutalité, ce régime qui excelle dans le lavage de cerveaux et les outils pour ce faire.

Il a essayé de jouer la même carte que le régime utilise pour redorer son blason auprès de l’Occident depuis le début de la révolution en se présentant comme " chrétien ", dans une manœuvre pour gagner la sympathie de l’opinion publique chrétienne européenne et occidentale, dont une frange éprouve de la sympathie pour Assad, en s’imaginant " qu’il protège les chrétiens et les défend contre ledit ‘État islamique’ (Daesh) et les terroristes ".

À ce titre, une armée composée de dignitaires religieux, de patriarches des églises se charge de véhiculer cette image en Syrie et dans les milieux des missionnaires et cercles ecclésiastiques conservateurs en Europe. Ce qui a été bien accueilli d’ailleurs par certaines forces politiques européennes parmi la droite conservatrice et raciste, ainsi que la gauche extrémiste, qui voient en Bachar el-Assad un homme laïc et un héros de la " lutte anti-impérialiste ", à l’instar de Chavez et de son successeur Maduro au Venezuela, et qui affectionnent particulièrement le Hezbollah!

Avant l’affaire des procès de Raslan et de Moussa, la justice allemande avait déjà condamné en février 2020 un autre syrien, Ayad al-Gharib, à quatre ans et demi de prison, pour avoir arrêté au moins trente manifestants anti-régime dans la ville de Douma, la plus grande ville de la Ghouta orientale à proximité de Damas, en octobre 2011, et les avoir transférés au centre de détention et de torture dépendant des services de renseignement.

Selon les Conventions de Genève, les crimes de guerre sont des crimes qui violent le droit international en temps de guerre et comprennent le fait de s’en prendre à la population civile, la torture, le meurtre ou la maltraitance des prisonniers de guerre.

Les crimes contre l’humanité sont, quant à eux, des crimes qui s’inscrivent dans le cadre d’une offensive d’une grande ampleur, organisée, qui vise les civils en période de guerre ou de paix, et qui englobent les disparitions forcées, le meurtre, la torture, la déportation ou le déplacement forcé de la population ainsi que les viols collectifs systématiques.

Pendant les dix années de la guerre en Syrie, la population syrienne a eu son lot d’exactions pratiquées par le régime et qui relèvent des deux types de crimes précités. Les bourreaux ont été jugés sur la base des témoignages directs de leurs victimes, tous deux réunis, dans un même pays d’accueil, par pur hasard, ou grâce aux largesses de l’Allemagne et de son État de droit.

Selon les principes du droit international, les crimes contre l’humanité peuvent être jugés partout, indépendamment du pays où les crimes ont été commis, sous réserve que l’accusé soit présent dans la salle d’audience. Les tribunaux allemands ont déjà jugé les auteurs des massacres contre les Yézidis, et des génocides au Rwanda, ainsi que dans la République démocratique du Congo.

Par conséquent, le verdict du tribunal de Coblence contre Raslan n’est pas le résultat d’un simple procès ou la sanction d’une personne, mais plutôt celle de tout un régime. Cet ancien militaire ne pratiquait pas la torture et les meurtres pour des motifs personnels. C’était un haut gradé responsable de la " section des investigations de la Branche 251 ", la prison notoire connue sous le nom de " Sécurité de l’État – section Al Khatib ", dans laquelle la torture a été exercée, selon des témoignages, contre quatre mille opposants en détention.

Deux ans après le déclenchement de la révolution, Raslan a réussi à fuir via la Jordanie et la Turquie avant d’obtenir l’asile politique en Allemagne en 2014, et d’être repéré par une de ses victimes alors qu’il arpentait avec insouciance une des rues de la ville allemande, selon les rapports fournis par la police à la justice. Suite à cette rencontre fortuite et à une période de surveillance qui lui a succédé, une plainte a été déposée en 2019.

Il ne fait aucun doute que Raslan a été jugé sur la base des crimes et faits qu’il a commis. Il n’en demeure pas moins qu’il faisait partie de l’appareil sécuritaire d’un régime qui pratique l’oppression et la tyrannie, qui jette ses opposants en prison depuis le début des années 70, à la suite du coup d’État militaire mené par Hafez al-Assad pour s’emparer du pouvoir en Syrie. Un régime qui torture les prisonniers et les opposants parqués dans les geôles syriennes par milliers.

Certains ont été tués, tandis que le sort de bien d’autres reste toujours inconnu. La prison de Saydnaya, par exemple, a été le théâtre d’exécutions massives secrètes de 13.000 détenus, des opposants civils pour la plupart, menées par le régime lors des cinq premières années de la révolution, selon Amnesty International.

La tristement célèbre prison de Palmyre a connu, quant à elle, sous Assad père au début des années 80, le plus important et odieux des massacres, qui a coûté la vie à des milliers de prisonniers de divers niveaux socio-politiques, dont la plupart était affiliée aux Frères musulmans, contre lesquels Hafez al-Assad n’a pas hésité à commettre des crimes contre l’humanité. Ce faisant, il pratiquait la politique de la terre brûlée, notamment lors du plus grand et monstrueux génocide perpétré à Hama en 1982. À l’époque, il avait osé utiliser les raids aériens et les chars pour les écraser, faisant un bilan de 20.000 morts.

Son successeur et fils Bachar a élaboré, de son côté, d’autres outils " plus modernes " pour tuer en masse et écraser le soulèvement contre son régime despotique, à l’instar des barils d’explosifs largués dans les airs sur les civils pendant que ses chars pilonnaient les habitations, où la population se réfugiait, pensant se trouver en toute sécurité. Sans oublier les armes chimiques comme le gaz sarin, utilisé contre les civils, en particulier des enfants, à maintes reprises dans plus d’un endroit. À ce titre, le massacre le plus horrible était celui de la Ghouta orientale, commis durant l’été 2013 et dont le nombre des victimes a été estimé à 1.500 personnes ayant inhalé ce gaz neurotoxique.

On en reviendrait même à regretter la précédente administration américaine, du moins en ce qui concerne cette question, et rappeler à l’Administration de Joe Biden, qui refuse toujours de réhabiliter le régime Assad, les propos de James Jeffrey, autrefois chargé du dossier syrien au sein de l’Administration Trump, avait déclaré à maintes reprises que Bachar el-Assad est une " honte pour l’humanité et un criminel de guerre, si ce n’est le plus grand et le plus brutal des criminels de guerre de nos jours " (Agence Novosti, 18 novembre 2019).

Tous ces massacres et ces atrocités, qui sont de l’ordre d’un génocide systématique de toute une population, ne suffisent-ils pas pour lancer des poursuites contre ce régime, qui n’a rien à envier, dans la nature et les méthodes suivies, aux crimes commis par les nazis, toutes proportions gardées?  Ce n’est pas pour rien, après tout, que Hafez el-Assad avait naguère fait appel et accorder asile à l’un des criminels les plus recherchés du IIIe Reich, le bourreau hongrois Aloius Brunner, pour aider à former ses services de renseignement et organiser la répression et la torture dans ses prisons…

De Nuremberg à Coblence, le lien n’est peut-être pas, finalement, aussi fortuit qu’il le paraît.

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