Par Khaled Saad Zaghloul, grand reporter

En dépit de l’interminable crise et des drames qui ponctuent la vie des Palestiniens, le Fatah reste le parti politique nationaliste le plus important de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), mais il n’arrive qu’en seconde place au sein du Conseil législatif palestinien (CLP), l’équivalent du Parlement. Aux dernières élections tenues en 2006, le Hamas a remporté 74 sièges contre 45 au Fatah, dernier vote en date puisque depuis 25 ans aucun scrutin n’a pu être organisé. C’est au Koweït en 1959 qu’on trouve les prémices du Fatah, créé par Yasser Arafat, Khalil al-Wazir (Abou Jihad) et leurs partisans décidés à combattre " pour libérer la Palestine ".

Aujourd’hui ces données élémentaires, qui voudraient donner l’image d’un état structuré, cachent mal l’une des crises internes de ce parti menacé d’implosion qui provient de la totale absence de réflexion sur la succession de M. Mahmoud Abbas, un homme de 86 ans qui " règne " sur l’Etat de Palestine depuis un quart de siècle, sa légitimité s’étant effritée en même temps que le passage de " son " état " Autorité Palestinienne " à celui de fantôme. Entre partis, clans, militants prisonniers d’Israël, amis et bienfaiteurs agissants de l’extérieur, il reste tabou de poser la question d’un " après " Abbas. Nullement fatigué, le dernier survivant du Fatah historique (les autres ayant été soit assassinés par Israël ou morts de maladie ou de vieillesse) se mobilise encore afin de sauvegarder le dernier carré du Fatah. Son objectif n’est pas de sélectionner son successeur -qui devrait être confirmé par un vote- mais de faire capoter les aspirations de Mohammed Dahlane puisque celui-ci ne cache pas son ambition, celle de dauphin. Pour de nombreux observateurs, Dahlane est aujourd’hui " l’homme fort " face au pouvoir palestinien.

Fondateur des " Jeunes du Fatah " en 1981, âgé aujourd’hui de 60 ans, le challenger d’Abbas a été aussi chef des Forces de Sécurité Préventive à Gaza et l’un des artisans des accords d’Oslo. Lors de la récente normalisation entre les Etats du Golfe, qui ont abouti aux accords d’Abraham, Mohammed Dahlane, en coulisse, était le conciliateur et la cheville ouvrière de cette paix soudaine entre Israël et ses ennemis historiques. La stature prise par Dahlane, tant à l’intérieur de la Palestine qu’à l’étranger, les vieilles haines montées pendant des années d’histoire vécues côte à côte avec Abbas, font que ce dernier voit l’ancien compagnon, maintenant honni, comme un homme auquel il doit à tout prix barrer la route.

Fragilisé, en voie de disparition sur le plan interne, le chef du Fatah et président de l’Autorité palestinienne, M. Abbas, n’est guère mieux loti dans sa politique étrangère alors que la perspective d’un État palestinien devient une chimère qui s’évanouit. Et il n’a pu obtenir ni le soutien de Barack Obama, ni celui de Donald Trump ou de Joe Biden. Par exemple sur la signature d’un moratoire pour l’arrêt de la construction de colonies en Cisjordanie.

Depuis la reprise de la seconde Intifada en septembre 2000, le Fatah recule et le Hamas en tire profit. Ainsi, depuis la mort de Yasser Arafat et le début de la démocratisation des Territoires palestiniens occupés, le Hamas, en arabe " enthousiasme " et acronyme de Mouvement de résistance islamique, issu des Frères Musulmans, a très nettement pris le pas sur le Fatah et tout le pouvoir dans la bande de Gaza. Ces défaites successives, les fractures au sein du Fatah ont sonné le glas de la vieille garde du Fatah, et fait d’Abbas une sorte de gouverneur plutôt qu’un " président ". L’Egypte frontalière de Gaza a plusieurs fois tenté de conclure un accord de réconciliation entre les frères ennemis du Fatah et du Hamas… en vain. A l’extérieur les pays qui soutiennent le Fatah ne forment plus qu’une peau de chagrin. Alors que le Hamas, pourtant inscrit sur la liste des mouvements " terroristes " par l’Union européenne, le Canada, les États-Unis, l’Égypte, le Japon, le Paraguay, le Venezuela, continue de recevoir l’infatigable soutien de l’Iran.

 

Un modèle du réformisme libéral

En dépit d’un état de catastrophe qui dure, l’écran palestinien n’est pas encore tout à fait noir. Une lueur peut apparaitre depuis que le 15 décembre le " Mouvement de Réforme Démocratique du Fatah ", dirigé par Mohammed Dahlane, a organisé sa première conférence. Son but ? Elire une nouvelle direction pour le " Conseil " de la bande de Gaza. Il s’agirait d’une première étape pour entamer un nouveau processus, démocratique et électoral. Cela dans la ville et les camps de réfugiés où le " Mouvement de Réforme Démocratique du Fatah " aura organisé des conseils et présenté des candidats à ce nouveau scrutin.

La conférence constitutive du mouvement politique de Dahlane a réuni 581 militants représentants, selon les responsables du nouveau parti, " plus de 120 000 adhérents " issus de la bande de Gaza, dont 51,8% de groupe de jeunes et 26,9% de femmes. Dans la soirée du 17 décembre 2021 un Conseil de 65 membres a été formé avec pour mission de soutenir la gestion de Gaza. Parmi ces membres, 23 sont titulaires d’un doctorat, 11 d’une maîtrise et 10 d’un baccalauréat.

 

L’importance du processus démocratique

L’importance de ce processus de Gaza semble reposer sur plusieurs facteurs :

– L’absence d’espoir démocratique après que le président Mahmoud Abbas a annulé le processus électoral prévu en mai 2021. Et, en général, l’absence de cette même démocratie au sein des partis traditionnels

– Le recul des mouvements nationaux palestiniens, y compris le Fatah et l’Autorité Palestinienne, en raison de la poussée démographique puisque les jeunes agissent maintenant hors du champ, jadis incontournable, du Fatah. En jouant cette carte et celle d’élections libres, Dahlane, bien connu des Palestiniens, arrive en novateur.

 

Une Vision pour la Paix

Depuis 1974 la résolution 194 des Nations Unies propose un " règlement pacifique de la question de la Palestine ", appelle à la création de deux États, Israël et la Palestine… côte à côte " à l’intérieur de frontières sûres et reconnues ", ainsi qu’une " résolution " juste de la question des réfugiés de 1948 ". Selon une nouvelle résolution datant de novembre 2013, adoptée par 165 voix contre 6, les frontières de l’État de Palestine seraient " fondées sur les frontières d’avant 1967 ". Cette solution à deux États distincts, promise dès 1948, devrait pourtant mettre fin au douloureux et interminable " conflit israélo-palestinien " … Mais elle est sans cesse repoussée par Israël qui se satisfait d’une situation d’occupation et de guerre face à une paix palestinienne, qui avait provoqué le rêve de certains à Oslo, mais aujourd’hui cliniquement morte.

Le " Mouvement Réformateur du Fatah ", et avec lui de nombreux observateurs étrangers de tous bords, ne voit aucune issue dans cette vieille solution " à deux Etats ". C’est dans ce contexte que Dahlane a présenté son projet d’État démocratique, " binational ". Un pouvoir et une administration commune pour tous ses citoyens (musulmans, chrétiens et Juifs) égaux en droits et en devoirs.

Inutile de dire que, dans la bouche d’un leader palestinien, cette proposition est une bombe qui risque de provoquer un vif écho puisque sur l’ensemble de la planète la colonisation israélienne ayant rongé la géographie de la Palestine, il ne reste plus qu’à vivre ensemble, sans occupants ni occupés. La Palestine devenant enfin une terre réunissant des hommes libres et égaux. Le rêve de Dahlane passe par ce chemin-là.

 

Cet article est initialement publié par Mondafrique

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L’éclairage de Mondafrique

Mohammed Dahlane, l’ancien chef des services de sécurité d’Arafat, ancien chef du Fatah, est loin d’être un enfant de chœur et nombre de Palestiniens le considèrent comme un  " traitre " depuis l’accord entre les Emirats Arabes Unis et Israël.  Il est vrai qu’il est de toutes les tractations régionales depuis son exil doré à Abou Dhabi depuis dix ans. Il est le conseiller spécial de MBZ, qui le verrait bien remplacer Mahmoud Abbas. Un vœu pieux? Il n’est pas aimé par la vieille garde palestinienne qui l’a banni pour corruption

Très actif dans les Emirats, proche de l’Egypte d’Al Sissi, il est perçu par les Palestiniens et la rue arabe comme l’homme des Américains et d’Israël…  Il est devenu l’un des fers de lance de la lutte contre les Islamistes et les Frères musulmans dans la région et même en Tunisie, ce qui l’accrédite aussi par ricochet en Occident.  Ses propositions d’une réconciliation inter-palestinienne et d’un Etat unique Palestine/Israël sont très séduisantes, mais pas forcément crédibles venant d’un homme largement décrié par son propre peuple.

Nicolas Beau