Au huitième jour de l’invasion russe de l’Ukraine, l’étau s’est resserré davantage sur les grandes villes qui sont soumises à des pilonnages et à des raids aériens massifs qui ont fait augmenter le nombre des victimes civiles. Mais la pire agression de jeudi était les violentes déclarations du président russe Vladimir Poutine qui, après un appel téléphonique avec le président français Emmanuel Macron, a fait monter la tension d’un cran. Au même moment, son ministre des AE Sergueï Lavrov a remis sur le tapis la menace nucléaire en accusant les Occidentaux de préparer une " troisième guerre mondiale ". Face à cette escalade verbale et militaire, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a invité Poutine à accepter une rencontre à deux afin de mettre fin à la guerre. Zelensky a averti l’Occident qu’après l’Ukraine, la Russie voudra menacer d’autres pays de l’Europe orientale. La Moldavie, qui craint d’être la prochaine cible de Moscou, a annoncé jeudi avoir déposé officiellement sa candidature à l’entrée dans l’Union européenne, tout comme la Géorgie, suivant l’exemple de l’Ukraine…

 

Les négociateurs russes et ukrainiens s’étaient retrouvés jeudi à la frontière entre la Pologne et le Bélarus pour cette deuxième tentative, lors de laquelle Kiev espérait obtenir une trêve. " Malheureusement, il n’y a pas encore les résultats escomptés pour l’Ukraine. Il n’y a qu’une solution pour organiser des couloirs humanitaires ", a écrit sur Twitter Mikhaïlo Podoliak, un membre de la délégation ukrainienne.

Au même moment, dans des déclarations retransmises à la télévision russe, Vladimir Poutine n’avait donné aucun espoir. " L’opération militaire spéciale se déroule strictement selon le calendrier, selon le plan ", a-t-il déclaré, rendant hommage aux soldats russes et à leur " précieux combat contre des néonazis " et des " mercenaires étrangers " qui utilisent selon lui les civils comme " boucliers humains " en Ukraine, avant d’affirmer que les Russes et les Ukrainiens ne font " qu’un seul peuple "C’est bien une zone résidentielle que la partie ukrainienne accuse l’armée russe d’avoir visé jeudi à Tcherniguiv, sur la route de Kiev, faisant 33 morts selon un denier bilan. Outre des habitations, " l’aviation russe a attaqué deux écoles du quartier de Stara Podsoudovka ", a écrit le gouverneur local, Viatcheslav Tchaous sur son compte Telegram, publiant des images de bâtiments éventrés. Des images du service des situations d’urgence montraient notamment des sauveteurs transportant des corps.Quelques heures auparavant, M. Poutine avait douché les espoirs de médiation du président français Emmanuel Macron, lui déclarant au téléphone que la Russie avait " l’intention de poursuivre sans compromis son combat contre les membres des groupes nationalistes qui commettent des crimes de guerre ", et répétant son exigence d’une démilitarisation et d’un statut neutre pour l’Ukraine, selon le Kremlin. " Le pire est à venir ", M. Poutine veut " prendre le contrôle " de toute l’Ukraine, avait jugé le président français après cet appel, selon l’Elysée.Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, devenu un héros dans son pays, a de son côté mis le maître du Kremlin au défi de le rencontrer. " Je dois parler à Poutine (…) car c’est le seul moyen d’arrêter cette guerre ", a-t-il lancé à Kiev. Il a de nouveau exhorté les Occidentaux à accroître leur soutien, à " fermer le ciel " ukrainien aux avions russes, et les a mis en garde : " Si nous disparaissons, que Dieu nous protège, ensuite, ce sera la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie etc… Jusqu’au mur de Berlin, croyez-moi "..

De son côté, Sergueï Lavrov a accusé l’Occident de penser " à la guerre nucléaire ". " Tout le monde sait qu’une troisième guerre mondiale ne peut être que nucléaire, mais j’attire votre attention sur le fait que c’est dans l’esprit des politiques occidentaux, pas dans celui des Russes ", a-t-il dit. La Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme Michelle Bachelet met en garde sur la menace nucléaire qui pèse sur " l’ensemble de l’humanité ".

Les Russes s’acharnent toujours sur les grandes villes
Sur le terrain, l’armée russe semble avoir encore renforcé sa puissance de feu pour accélérer la prise de villes stratégiques.Après que l’armée russe a pris le contrôle de Kherson, métropole de 290.000 habitants proche de la péninsule de Crimée, après de violents bombardements, le chef de l’administration régionale, Guennadi Lagouta, a appelé sur Telegram les habitants à rester chez eux : " Les occupants sont dans tous les quartiers de la ville et très dangereux ", a-t-il mis en garde.Plus à l’est, à Marioupol, le maire a accusé la Russie de vouloir assiéger la ville. " Ils ont détruit les ponts, détruit les trains pour nous empêcher de sortir nos femmes, enfants et vieillards (…) Ils cherchent à imposer un blocus, comme à Léningrad ", l’actuelle Saint-Péterbourg, victime d’un siège dramatique de l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale, a déclaré Vadym Boïtchenko sur Telegram. Ce grand port ukrainien de la mer d’Azov, site clé pour la progression des forces russes, " résiste " pour l’instant, selon l’armée ukrainienne.Dans le nord du pays, Kharkiv, deuxième ville du pays proche de la frontière russe et déjà frappée par des bombardements meurtriers mardi et mercredi, a été pilonnée toute la nuit, selon les autorités régionales. Une membre ukrainienne de la mission locale de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe fait partie des morts, a indiqué l’OSCE.

A 200 km de Kharkiv, la métropole de Dnipro, centre industriel fort d’un million d’habitants et épargné pour l’instant, se préparait à un assaut russe. Les habitants entassaient des sacs de sable et préparaient des cocktails Molotov.

Les forces russes se trouvaient aussi dans les villes de Tcherniguiv et Nijyne, à quelque 150 km au nord-est et à l’est de Kiev, ainsi qu’à Sumy et Okhtyrka, à quelque 350 km à l’est de la capitale, mais " essaient d’éviter les combats " avec l’armée ukrainienne, selon cette dernière.

A Kiev, de fortes explosions ont été entendues pendant la nuit de mercredi à jeudi, selon des messages sur les réseaux sociaux. Des milliers de femmes et d’enfants sont réfugiés dans le métro, transformé en abri antiaérien.

 

" Protection temporaire " pour les réfugiés dans l’UE

Le pilonnage meurtrier des villes ukrainiennes suscite une vive émotion dans le monde, où s’enchaînent manifestations et élans de solidarité avec les Ukrainiens. Le chef humanitaire de l’ONU, Martin Griffiths, a indiqué jeudi avoir récolté 1,5 milliard de dollars d’aide d’urgence, et les cloches des cathédrales à Paris, Berlin, Madrid ou Vienne ont sonné à 11h00 GMT pour l’Ukraine.

Plus d’un million de personnes ont fui le pays, selon les derniers chiffres du Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU, surtout vers la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Moldavie. Les ministres européens de l’Intérieur se sont mis d’accord à Bruxelles pour accorder à ces réfugiés une " protection temporaire " dans l’UE.

Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé mercredi soir l' "ouverture immédiate " d’une enquête sur la situation en Ukraine, où la Russie est accusée de perpétrer des crimes de guerre, et l’OSCE va mettre en place une mission d’experts indépendants pour enquêter sur les violations du droit international perpétrées par Moscou.

Le poids des sanctions s’alourdit

Les sanctions économiques infligées par le camp occidental à Moscou et aux proches de Poutine sont de plus en plus dures. L’UE a confirmé que sept banques russes seraient, à compter du 12 mars, exclues du système de messagerie Swift, un rouage-clé de la finance internationale. La Banque mondiale a coupé tous ses programmes d’aide en Russie et au Bélarus. Les agences de notation financière Fitch, Moody’s et S&P ont rétrogradé la Russie dans la catégorie des pays risquant de ne pas pouvoir rembourser leur dette. Après avoir perdu plus du tiers de sa valeur en devises étrangères, le rouble a plongé à nouveau jeudi. Le numéro deux du pétrole russe, Loukoïl a déclaré jeudi prôner " un arrêt rapide du conflit armé " et une issue diplomatique, alors que ses titres en bourse, comme ceux d’autres groupes, se sont effondrés ces derniers jours. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont aussi inscrit jeudi de nouveaux oligarques proches du Kremlin sur leur liste noire. Le président américain Joe Biden a souligné qu’il s’agissait de la " campagne de pression économique la plus forte et unie de l’histoire ".

Moscou multiplie les mesures pour défendre son économie, mais aussi pour étouffer toute voix opposée à la guerre: la radio indépendante Ekho Moskvy, a dû acter sa fermeture jeudi après avoir été interdite d’antenne, et la chaîne de télévision internet d’opposition Dojd, également interdite, a annoncé suspendre son travail.

Conséquence de l’isolement économique de la Russie, les prix des hydrocarbures et de l’aluminium, dont Moscou est un gros exportateur, continuent à s’envoler. Le baril de pétrole WTI dépassait les 115 dollars, un record depuis 2008.

Avec AFP