En Allemagne, des rassemblements prorusses controversés et la commémoration de la libération par les troupes soviétiques du camp de concentration de Buchenwald ont vu l’agora être investie par plusieurs initiatives de l’importante communauté russophone du pays. Elle s’estime victime de discriminations depuis l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Moscou, alors que les autorités allemandes ne souhaitent pas voir la guerre d’Ukraine être importée dans le débat public .

" Contre la haine et le harcèlement "
Environ 800 personnes, selon la police, se sont réunies dimanche dans le centre de Francfort derrière le mot d’ordre " contre la haine et le harcèlement " et brandissant une marée de drapeaux tricolores russes, a constaté l’AFP. La manifestation prorusse s’est mise en mouvement pour gagner le principal cimetière de la ville et y déposer des fleurs devant les grilles en mémoire des soldats soviétiques tombés durant la Deuxième Guerre mondiale. En tête du cortège, on pouvait lire une banderole : " Vérité et Diversité d’opinion plutôt que PROPAGANDE ". " Ce n’est pas cette année que la guerre a commencé, elle dure déjà depuis 2014 et donc je trouve que parler d’une agression " de l’Ukraine par la Russie " n’est pas vraiment approprié ", juge dans la foule Sebastian, 25 ans.

Ne pas importer le conflit

Les autorités allemandes craignent une importation du conflit russo-ukrainien sur le territoire de l’Allemagne. L’Allemagne compte 1,2 million de personnes originaires, elles ou leurs familles, de Russie et 325.000 d’Ukraine, auxquelles s’ajoute l’arrivée depuis un mois de plus de 316.000 réfugiés ukrainiens. La multiplication de manifestations dénonçant la " russophobie " qui aurait gagné l’Allemagne a provoqué un vif débat dans le pays, car les autorités y voient un danger d’instrumentalisation et de propagande pour les thèses défendues par Moscou dans la guerre. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, la police a répertorié 383 délits anti-russes et 181 délits anti-ukrainiens.

Les autorités de sécurité " surveillent de près dans quelle mesure les citoyens russes, mais aussi ukrainiens, sont en danger en Allemagne ", a déclaré la ministre allemande de l’Intérieur Nancy Faeser. Ajoutant: " nous devons veiller très attentivement à ce que cette guerre ne soit pas importée dans notre société ". Une hypothèse dont doute le chercheur Tobias Rupprecht de l’Université libre de Berlin: " la plupart des Russes ici ont une image beaucoup plus critique du conflit, ils ont tendance à être beaucoup plus occidentaux que les Russes en Russie ". Toutefois, " plus la guerre dure, plus le risque est grand de voir un nombre plus élevé de délits commis dans ce contexte en Allemagne ", redoute M. Töpfer.

Entre actes anti-russes et propagande

De magasins russes barbouillés de peinture aux injures dans la rue, les agressions envers la communauté russe en Allemagne se multiplient depuis l’invasion de l’Ukraine, faisant redouter aux autorités une importation du conflit sur leur territoire. Pour s’y opposer, des manifestations sous forme de cortège de voitures " contre la russophobie " arborant des drapeaux russes s’organisent dans le pays, qui abrite la plus importante diaspora de l’Union européenne. Mais elles créent la polémique pour leur manque de distanciation face à l’agression militaire russe.

Organisateur d’un convoi à Berlin dimanche dernier qui avait rassemblé 400 véhicules, Christian Freier, 40 ans, reçoit depuis quotidiennement des centaines de menaces de mort. Le site internet de son garage automobile a été piraté et ses notations en ligne ont chuté: " ma vie est un enfer ", se plaint ce Russo-allemand. Son cortège a toutefois choqué le monde politique allemand car le jour même les atrocités de Boutcha étaient mises au jour. " Mon but était seulement de protester contre les agressions que subissent au quotidien les Russes en Allemagne ", assure M. Freier, prétendant que sa manifestation n’avait aucun rapport avec le conflit dont il ne veut surtout pas parler. "Chaque guerre est condamnable et aucune n’est justifiable ", avance le co-organisateur du cortège berlinois, l’Allemand René Hermann, 50 ans. Mais loin des journalistes, l’homme s’avère être un blogueur influent aux milliers d’abonnés sur le réseau social Tiktok. Jusqu’à la suspension récente de son compte, il y diffusait de nombreux messages typiques de la propagande pro-Kremlin. L’un d’eux prétendait que " des prisonniers racontent que Kiev a ordonné de mettre en scène un massacre pour manipuler la pensée occidentale ". "Les motifs de participation à ces manifestations sont très hétérogènes ", analyse Jochen Töpfer, sociologue à l’Université Otto-von-Guericke de Magdebourg et spécialiste de la société russe. " L’organisateur a parlé d’une manifestation contre la discrimination. A côté de cela, des fans de Poutine participent certainement, ou des personnes qui n’aiment pas Poutine mais ne veulent pas voir leur pays discrédité, malgré la guerre ", explique-t-il à l’AFP.

" Cortèges de la honte "

A Berlin, le quotidien Bild a parlé de " cortèges de la honte ". Dimanche il accusait les participants aux nouvelles manifestations d’être des " fans de Poutine " qui " nient les crimes de guerre ". " Pour l’amour du ciel, comment avez-vous pu autoriser ce cortège de voitures de la honte en plein Berlin? ", s’est offusqué en s’adressant à la maire de Berlin, Franziska Giffey, l’ambassadeur d’Ukraine en Allemagne Andrij Melnyk. Elle lui a répondu " comprendre " sa colère mais indiqué qu’elle ne pouvait pas interdire une manifestation où étaient brandis " des drapeaux russes ".

Quelque 2.500 contre-manifestants à Francfort et 3.500 à Hanovre ont exprimé leur soutien à l’Ukraine, selon la police. Des organisations russes ont aussi condamné les défilés. " Nous ne tolérerons pas que les quelques cas de discrimination soient utilisés comme couverture pour des événements propagandistes pro-Poutine ", a prévenu la communauté d’intérêts des Allemands de Russie en Hesse (IDRH).

Avec AFP