Je passe ma journée assis sur mon fauteuil de cuir, calé sur les billes de bois confortables de mon couvre-siège. Souvent accoudé à la fenêtre, l’avant-bras au vent, quand je tire sur ma cigarette dont je sais l’odeur épouvantable pour qui n’y est pas, comme moi, stupidement accro. J’ai bien suspendu un arbre désodorisant au rétroviseur, mais l’odeur est incrustée dans le cuir.

Mon taxi est accueillant, sinon, c’est une Mercedes jaune fatigué, qui me laisse parfois fantasmer que je suis chauffeur de taxi à New York. J’adore! Je trouve que j’ai le physique adapté pour ce décor, je suis plaisant, soigné, bien coiffé et toujours élégamment vêtu.

Ce que j’aime le plus dans mon métier, ce sont les histoires. Un inconnu s’engouffre à l’arrière de mon taxi, me donne sa destination et en route mauvaise troupe!

Il s’installe à son aise, pique un chewing-gum Chicklets à disposition et profite de la course pour faire ce pour quoi il manque de temps dans la journée, ou pour se délasser appuyé contre la vitre.

Moi, ce que j’adore, c’est observer à travers le miroir rectangulaire de mon rétroviseur et imaginer son histoire… J’ai le temps, Beyrouth bouchonne.

Ce matin, il y avait Farès, saucissonné dans son costume gris hors de prix, probablement un businessman. Scotché à son smartphone, il hurlait sur des types visiblement sous-qualifiés. Il m’a payé grassement, il n’avait que de "gros billets".

Après ça, douceur avec Amel, jolie étudiante probablement en licence de lettres modernes ou de philosophie, de la littérature c’est sûr. Elle a lu un gros bouquin dont je n’ai pas réussi à saisir le titre, pendant ses vingt-cinq minutes de trajet.

Une famille bruyante, avec les cris insupportables des gamins en bas âge, capricieux, absolument non maîtrisés par leurs parents épuisés. Eux se rendaient à l’aéroport, course juteuse pour mon portefeuille, trop longue pour mes oreilles impatientes.

Plus tard, il y a eu Steeve, même pas pressé, car il rendait visite à sa mère à l’est de Beyrouth, mais qui s’est impatienté dans les embouteillages, pire que s’il était au volant! Noms d’oiseaux, grognements, gesticulations, allant même jusqu’à s’agripper à mon repose-tête dans un excès d’impatience!

Je n’oublie pas Reina et son flot de larmes incontrôlables, Max et ses énormes valises emballées dans du film plastique ou encore le couple de mannequins qui se rendait probablement à un shooting sur la place de l’étoile.

La journée s’est terminée avec Ali, adolescent intimidé, qui se rendait chez sa petite amie et a passé le trajet à dompter ses cheveux à coups de gel, s’inspecter les dents et arranger sa tenue.

La mienne d’histoire? C’est un peu toutes les leurs. Le soir, quand je rentre, j’attrape mon carnet et je raconte toutes ces vies dont je ne sais rien, dont j’imagine tout. Ces gens qui animent ma journée et ma plume. "Chroniques d’un taxi".

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