Après un long silence "forcé", la saison musicale au Liban a repris, samedi dernier, ses gammes. Le jeune trompettiste Louis-Justin Khalifé a ainsi offert une belle prestation de virtuose en herbe, admirablement secondé par la pianiste chevronnée Jana Popkova. Une levée de fonds a été organisée à la fin du concert afin de financer les activités académiques et musicales de l’association LeBAM qui a été contrainte de suspendre ses concerts et ses cours de musique pendant trois ans.

Le concert proposé ce samedi 24 septembre, à l’église Saint-Joseph à Monnot, par le jeune trompettiste libanais Louis-Justin Khalifé et la pianiste ukrainienne Jana Popkova, s’est révélé convaincant et intensément musical. Restituant l’essence même de chaque chef-d’œuvre, le duo s’est livré à un dialogue harmonique opiniâtre, porté par une complicité symbiotique et tangible. Face à une salle pas tout à fait comble mais chaleureuse, le trompettiste a fait merveille tant dans la maîtrise (presque) parfaite de son instrument que dans la louable qualité de ses échanges avec la pianiste. Le programme kaléidoscopique et musicalement audacieux de la soirée s’ouvre sur une pièce particulièrement intéressante du XXe siècle: la Sonate pour trompette et piano de Jean Hubeau (1917-1992). De son illustre Sarabande jusqu’à son Spiritual final, imprégné de blues, en passant par son frénétique Intermède plein d’humour, ce chef-d’œuvre français exalte par sa mosaïque sonore ouatée et ses accents exotiques veloutés. La dextérité à toute épreuve de Louis-Justin Khalifé trouve un interlocuteur de taille chez la pianiste qui fait preuve d’une acuité rythmique impeccable, mettant ainsi en exergue une précision chirurgicale dans son accompagnement et ses répliques incisives. Si la projection sonore du trompettiste acquiert des sommets de précision, son phrasé n’est toutefois pas assez alimenté dans la deuxième partie de l’Intermède où l’on pourrait imaginer des nuances plus délicates, notamment dans les successions de crescendo et decrescendo. La pièce retrouve toute sa véhémence dans le troisième mouvement: on est aussitôt saisi par la pureté du timbre et des fioritures (les mordants) exotiques grisantes qui camoufle certains passages gonflés à outrance.

Cap ensuite vers Cavatina und Walzer de Gaetano Donizetti (1797-1848). Cette pièce est un exemple probant des pots-pourris musicaux (c’est-à-dire une compilation de deux mouvements d’origine différente) du XIXe siècle, transcrit pour trompette par Josef Kail (1795-1871). En ce qui concerne la Cavatine, il s’agit de l’air d’Adina, Prendi; per me sei libero, de la fin du deuxième acte de l’opéra-comique L’Elisir d’amore de Donizetti; l’origine de la Valse de Tadolini reste toutefois méconnue. La lecture de Khalifé est intéressante: le jeune musicien se joue aisément des écueils de cette partition en proposant une interprétation sobre, colorée et surtout bien rythmée. Le son n’est jamais forcé et les grandes lignes mélodiques sont bien nourries mais parfois pas suffisamment articulées, surtout dans les gammes ascendantes. On se doit de saluer la prestation de Jana Popkova qui a admirablement su donner des couleurs orchestrales à son piano. Changement total d’époque et d’atmosphère après avec les Gestes Incongrus d’Eddy Debons (né en 1968), une œuvre pour trompette solo en quatre mouvements: Lent librement, Vif et rythmé, Elegy et Vivo. Tout au long de cette pièce, Louis-Justin Khalifé fait preuve d’une facilité désarmante, même dans les passages les plus épineux. La sculpture du timbre ne semble plus avoir de limite pour sa trompette qui parvient à faire un juste équilibre entre les couleurs primesautières des mouvements énergiques et les nuances éthérées des passages les plus intimistes.

Le jeune trompettiste Louis-Justin Khalifé © Toni Maalouf

Après un entracte d’une dizaine de minutes, durant lequel le fondateur de LeBAM (Lebanese Band Association for the Promotion of Music), Ghassan Moukheiber, prend la parole, les trois dernières pièces viennent baigner, d’une lumière plus subtile, le crépuscule de ce concert. Louis-Justin Khalifé profite du deuxième mouvement (Andante) du Concerto pour trompette et orchestre en mi bémol majeur de Joseph Haydn (1732-1809) mais également de l’Ave Maria de Charles Gounod (1818-1893), pour montrer toutes les ressources expressives de son instrument, déployant ainsi une large palette romantique de couleurs et de timbres aux harmonies franco-allemandes, qui invite gracieusement l’auditeur à apprécier la délicatesse des piani. On pourra, de ce fait, se délecter des nuances finement dosées, tout particulièrement dans le chef-d’œuvre de Gounod où la dilution du son de la trompette dans le flux orchestral du piano est ingénieusement contrôlée. Finalement, le concert s’achève avec le deuxième prélude (Andante con moto) de George Gershwin (1898-1937), transcrit pour trompette, où le rythme syncopé du piano se mêle aux couleurs exotiques d’un blues très raffiné et poétique. Si les deux pièces précédentes ne furent que douceur, celle-ci révèle toute la fougue nécessaire à l’expression de la dualité de la gamme blues, tantôt dramatique tantôt sarcastique. Le duo réussit à créer une atmosphère onirique de laquelle émane une propension naturelle à captiver l’auditoire.

Le jeune trompettiste Louis-Justin Khalifé accompagné au piano par Jana Popkova © Toni Maalouf

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