Il a le dessin dans le sang, depuis l’enfance. Mais il a vécu dans un pays qui ne lui a pas permis de s’exprimer comme il le souhaitait. Mana Neyestani porte la liberté d’expression au bout de son crayon. Après avoir fait de la prison en Iran à cause de ses dessins qui ne plaisaient pas au régime des mollahs, il a choisi l’exil, au pays des droits de l’homme, pour poursuivre sa lutte et porter la voix des Iraniens libres aussi loin que possible. À l’heure où son pays de naissance est en pleine ébullition et où les Iraniennes et les Iraniens revendiquent leurs droits au prix de leur vie, il a accordé un entretien exclusif à Ici Beyrouth.

Vivez-vous en Iran? Sinon, pourquoi avez-vous fui le régime oppressif des Mollahs?

J’ai quitté l’Iran en 2006, suite aux problèmes que m’a créés une de mes illustrations dans un magazine hebdomadaire pour enfants. Le régime m’a emprisonné durant trois mois. J’ai profité d’une courte période de libération pour fuir le pays avec ma femme. Nous avons entrepris un long voyage, allant de Dubaï à Kuala Lumpur, en passant par Ankara et Istanbul. Nous sommes restés en Malaisie de 2007 à 2011, puis, ayant obtenu le soutien d’ICORN, une organisation pour la défense des droits de l’homme, nous avons atterri à Paris. Nous habitons en France en tant que réfugiés depuis 2012

Quand vous êtes-vous mis à l’illustration? Vos dessins sont-ils pour vous des armes contre la répression?

J’ai l’illustration dans le sang, depuis mon enfance. C’est venu comme une habitude, puis ça a pris une dimension professionnelle en 1989, alors que j’avais 16 ans. Mes caricatures éditoriales viennent comme un écho, en réponse à tout ce qui m’entoure. Et en tant qu’Iranien, une grande partie de mon environnement n’est autre que la théocratie islamique et la dictature. Vu que ce régime est un système rétrograde qui s’oppose à la pensée, je pense que si vous essayez de libérer votre pensée et de sortir du cadre, vous serez considéré comme une personne anti-régime. Par conséquent votre stylo, votre caméra, votre pinceau seraient une arme contre la pétrification au sein du régime. Cependant, vous devez être conscient que la frontière est floue entre un activiste et un artiste. Pour un activiste, tout est dans le message. Un militant pourrait changer d’arme; toute forme d’art est valable pour lui afin de transmettre un message. Pour un artiste, la forme d’art en elle-même est cruciale. La plupart du temps, l’art consiste à explorer et non à rapporter des résultats et des messages pré-établis. Même si un artiste a pour but de transmettre certains messages, la forme d’art en tant que telle est aussi importante pour lui que le message. Moi je fais des croquis éditoriaux qui sont une forme d’art journalistique. Il m’est inévitable d’aborder des messages forts concernant la société et la politique. Par ailleurs, j’aime la caricature comme moyen d’expression. Je ne la troquerais jamais pour une autre arme. C’est mon truc.

De votre point de vue, la rébellion actuelle est-elle plus puissante que les précédentes et a-t-elle une chance de réussir?

Je crois que oui, compte tenu du large éventail de groupes sociaux impliqués dans ce mouvement. En 2009 notamment, la classe moyenne s’est manifestée. Entre 2017 et 2019, il s’agissait davantage de la classe inférieure. Maintenant, c’est au tour de tout le monde et surtout des jeunes et de la nouvelle génération féminine qui ne connaît plus la peur. Ce mouvement a pour slogan: Femme, Vie, Liberté, ce qui relève du moderne! Et cela est tellement important dans une société comme l’Iran qui se confronte au patriarcat depuis des siècles. Même la révolution de 1979 était un mouvement patriarcal qui a ramené la société des siècles en arrière. Je ne sais pas si cela se terminera par un changement de régime ou non, mais je suis sûr qu’il y a eu un changement important quelque part… comme quelque chose d’irréversible. Ce n’est peut-être pas le dernier cap pour changer le système politique, mais cela demeure un grand pas. Le régime voit inévitablement sa détérioration sur le visage des jeunes filles et en a peur!

Êtes-vous menacé par le régime? Vous sentez-vous en insécurité?

Officiellement, pas encore. Mais il utilise des méthodes plus sûres pour menacer les militants en exil: sa cyber armée! Ils ont de faux comptes, ils vous attaquent, vous accusent, colportent des histoires fabriquées de toutes pièces contre vous. Ils manipulent le public en postant des commentaires sous les messages, répandent la désinformation et parfois, oui! ils vous menacent par messages privés!

Un dessin vaut mille mots. Croyez-vous que vos dessins soient aussi puissants que vous le souhaitez?

Parfois, ils le sont, et parfois non. Parfois, ils créent des malentendus. Cela relève de la nature de l’image; elle est interprétative. D’ailleurs, en persan on dit: "Un bon dessin animé pourrait avoir l’impact de 1000 articles". Cette croyance pourrait être dangereuse, car simplifier les phénomènes est l’essence même de la caricature. Elle ne remplacera jamais des milliers d’articles et ni de mots, mais pourrait les compléter, rendre leur impact plus fort et plus rapide. Je dis toujours que pour analyser un événement, il ne faut pas se fier à un seul croquis.

Ressentez-vous de la haine et de la colère lorsque vous voyez votre propre peuple torturé et tué?

Et comment! Particulièrement en voyant les photos de jeunes filles et de jeunes gens pleins d’espoir qui ont été assassinés dans les rues par le régime, rien que pour avoir exprimé leurs souhaits! Ce qui me met le plus hors de moi, c’est l’idée que la génération future doit endurer les mêmes souffrances que nous avons vécues. Cela doit changer!

Vos dessins sont publiés dans le monde entier. Est-ce votre manière à vous de résister à l’oppression?

Oui, c’est bien le cas. C’est ma façon de répandre les réalités. Les systèmes de dictature et de tyrannie essaient toujours de falsifier l’Histoire et les événements. Ils s’attaquent à la mémoire des gens. C’est une bataille contre la falsification et l’oubli!

P.S.: J’ai fait la connaissance virtuelle de Mana Neyestami au moment où je travaillais sur Beyrouth Mon Amour, le premier ouvrage collectif témoin de la catastrophe du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Une des contributrices avait été frappée par la force d’un dessin, qu’elle m’avait envoyé, qui représentait l’explosion du port. J’ai fini par trouver le nom de l’auteur de ce dessin, ainsi que son compte Instagram. Je lui ai envoyé un message, lui demandant si je pouvais utiliser son dessin pour illustrer un texte. Quelle fut ma (très agréable) surprise de recevoir ledit dessin en haute résolution par e-mail. Depuis, je "follow" Neyestani et je suis fan de ses courageuses et magnifiques illustrations qui valent mille mots!

 

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