Dérivée du mot "masque" dont l’étymologie italienne est maschera, une mascarade est un événement à la fois festif et satirique, regroupant des personnes masquées et déguisées, le plus souvent avec extravagance. Historiquement, les mascarades se déploient notamment au Moyen Âge, en Occident, en l’occurrence à l’occasion de carnavals au cours desquels les foules, toutes classes confondues, se retrouvent pour chanter, danser, jouer de la musique, échanger des présents, partager des mets, etc. Bien évidemment, le Moyen Âge puise, pour ses mascarades, aux sources antiques, plus particulièrement romaines: en effet, le port du masque, le déguisement, le chant, la danse, les festins, les présents étaient bien alors le propre des Saturnales, fêtes se déroulant dans la Rome antique durant le solstice d’hiver et célébrant le dieu Saturne qui aurait passé un long séjour au Latium, en Italie centrale, avant la fondation de la ville. Aujourd’hui encore, en Afrique noire, s’organisent des mascarades, sorte de célébrations au cours desquelles masques et déguisements ont une portée magique ou religieuse. Il va sans dire toutefois que, de nos jours, les mascarades les plus notoires en lien avec les origines médiévales restent celles de Venise où les masques et les costumes extravagants garantissent l’anonymat, permettant les comportements les plus excentriques.

“Italy in Disguise”, February 4, 2016, https://www.escapeaway.no/reiseblogg/italia-i-forkledning/

Glissement métonymique et voyage du propre au figuré

Le mot "mascarade" désigne, en outre, par le fait d’un glissement métonymique, comme les mouvements de toutes les langues aiment à en faire, la partie d’une représentation musicale à caractère burlesque, dont le genre est notamment advenu durant la période baroque du XVIe siècle, à Rome, à Venise, à Mantoue et en Florence, partie où les spectateurs voient défiler sur scène des personnages masqués alternant des danses et des récitations de vers de parodie galante.

Et, comme toutes les langues cultivent la polysémie, lorsque l’on passe du sens propre au sens figuré, une "mascarade" devient synonyme d’une attitude hypocrite, frisant l’imposture grotesque, ou littéralement la parodie, notamment dans le monde social, juridique ou politique.

De la question de la folie ordinaire

Sans doute, à force d’être assidument faux, hypocrites, imposteurs, les "acteurs" d’une mascarade – tant personnelle que publique – ne pourraient que cesser d’être festifs et réjouissants, pour devenir menaçants, délétères, voire meurtriers. Car, dans certaines situations, la foule qui se mêle à la mascarade, se prenant au jeu satirique, parodique et extravagant, y voyant une manière d’échapper au réel trop pesant, trop décevant, risque bien de s’y laisser happer, parfois au prix même de sa propre santé mentale. On pourra bien parler, dans ce cas, d’accès à la folie ordinaire.

Qu’est donc la folie ordinaire? Eh bien, en psychopathologie, elle désignerait un trouble de la personnalité dont le point d’origine serait l’idéalisation comme défense psychique d’individus qui, pour éviter de souffrir d’une réalité dérangeante, aliénante, remplacent le réel par une représentation autre, déformante, voire encore plus aliénante. Celle-ci devient une croyance bien ancrée dans l’esprit et dans laquelle ils entraînent leurs proches, contraints de vivre dans le même univers mental que le leur. La folie ordinaire serait donc aliénante et contagieuse…

Dans ses Contes de la folie ordinaire (1977 pour l’édition française), le romancier germano-américain Charles Bukowski évoque, au fil de vingt nouvelles, différentes histoires extravagantes où la mascarade, flirtant avec la dépersonnalisation, entraîne les individus qui s’y mêlent à une déchéance dont le mouvement de chute ne s’arrête qu’à la mort. Évidemment, dans ces contes à la sauce américaine, la mascarade alimentée par l’alcool, les orgies alimentaires et sexuelles, les courses hippiques, les abus de tous genres, etc., transforment les gens en fantoches qui cessent, par voie de conséquence, d’avoir quelque prise que ce soit sur leur vie et qui se laissent totalement coloniser par ce qui finira inéluctablement par les tuer. En cherchant donc à échapper à une réalité trop dure pour être supportée, appréhendée, travaillée et transformée, ils se livrent à cette "folie ordinaire", qui se coule en eux et finit, en épousant leur corps, leurs mouvements, les méandres mêmes de leurs pensées, par devenir leur destin propre.

Le Parlement libanais: gare à la folie ordinaire!

Depuis la fin de septembre 2022, nos députés ont entamé une gigantesque mascarade dont les festivités visent à élire le successeur du général Michel Aoun à la tête du pays. Nul besoin de masques ni de déguisements confectionnés avec grand art: ils sont déjà bel et bien masqués et déguisés très soigneusement. C’est la grande fête "politicienne", où ceux qui disposent du pouvoir constitutionnel d’élire un chef de l’État en sortant un tant soit peu le pays de son immobilisme fatal choisissent de tourner en dérision toute démocratie, en en faisant justement la parodie avec une parfaite maîtrise de l’exercice. Tout y passe: le jeu satirique, les lumières frappantes, les grands gestes burlesques, les grimaces déformantes, la parole grotesque et grossière, les moqueries réciproquées, les bulletins inutiles, l’ambiance surréelle…

Et la foule qui les regarde alors, qui y adhère, espère, attend, y croit? Eh bien, elle n’est pas à l’abri du danger de la folie ordinaire, celle qui, au tout début, fascine, transporte, puis sidère et réussit à estomper la vulgarité, l’imposture, la débauche morale, pour s’immiscer dans le corps et l’esprit des individus qui s’y collent, l’intériorisent et la font leur.

Libanais! Rappelons-nous toujours ceci: "Les fous passent. La folie demeure." Peut-être pourrions-nous nous protéger de la funeste mascarade que tout le monde connaît.

https://www.discogs.com/release/6443961-La-Folie-Ordinaire-Moments-Vol%C3%A9s

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