Il faut d’abord souligner la tromperie du titre de cet ouvrage. On pourrait s’attendre à ce que les deux auteurs qui sont censés confronter leurs idées soient d’un avis opposé, or il n’en est rien. Laurie Laufer et Serge Hefez sont à peu de chose près d’accord sur tout et en particulier pour s’en prendre à ceux qui défendent, dans "la petite sirène", en compagnie et en soutien de Céline Masson et Caroline Éliachef, un autre point de vue.

Sans entrer dans le détail de l’ouvrage où, bien entendu, tout n’est pas à rejeter — "oui, il faut certainement avoir de l’humour dans une cure et Freud ne s’en est pas privé" –, on note un mélange qui tourne à la confusion entre l’homosexualité et la transsexualité. Et l’on voit bien pourquoi cette confusion est à dessein entretenue. Certes, la question de l’homosexualité a longtemps été vue par les psychanalystes comme relevant d’une pathologie. Ceci est depuis longtemps reconnu comme une erreur par ces derniers et sert ici pour assimiler toute mise en question du changement de sexe, en particulier par des adolescents en souffrance. Or, il est évident que la variabilité extrême de l’objet du désir n’a à peu près rien à voir avec le fait d’opérer des adolescents en souffrance psychique.

Serge Hefez soutient deux contre-vérités. La première est que la délivrance d’hormones à un ou une adolescente serait sans conséquences ultérieures, ce que démentent plusieurs études que l’on retrouvera en particulier dans l’ouvrage de Nicole Athéa: "Changer de sexe: un nouveau désir" (éd. Hermann). Il dit pour sa part laisser les adolescents s’exprimer librement, ce qui est la moindre des choses pour un psychanalyste. Là où cela se complique, c’est lorsqu’il dit que seuls 10% des adolescents ou des enfants qu’il reçoit poursuivent dans la voie de la transsexualité. Pourquoi ne pas le croire, en effet? Sauf que les échos que nous avons par ailleurs montrent au contraire que la plupart des psychiatres consultés, qui font partie d’une filière que les réseaux sociaux savent parfaitement identifier, n’ont pas le même scrupule et que – clientélisme ou volonté de faire moderne et libéral – ils accordent à l’adolescent à peu près tout ce qu’il demande, confondant demande et désir et refusant de s’interroger davantage sur la démarche et ses conséquences. Car, il faut le souligner, une fois pris dans les rets des réseaux spécialisés, tout se passe comme dans une secte. Et chacun de s’encourager dans la démarche et de connaître et faire connaître ceux des praticiens qui précisément refusent de gérer la demande comme un chemin à explorer.

À les écouter l’un et l’autre, ceux qui refusent cette mode au prétexte de ne pas freiner la liberté de chacun à faire de son corps ce qu’il souhaite, sont d’irréductibles réactionnaires. Mais à la vérité, si pression sociale il y a, elle n’est plus celle que les auteurs décrivent; les parents qui veulent freiner la demande de leurs enfants se heurtent à une société où, même à l’école, au collège ou au lycée, on fait fi de leur parole et la culpabilisation va bon train, y compris pour les professeurs qui, du jour au lendemain, sont sommés de changer le prénom de leur élève sous peine de sanction.
Ajoutons enfin que, de Sciences Po à divers lieux, Serge Hefez et Laurie Laufer n’ont, semble-t-il, aucun mal à s’exprimer. Ce n’est pas le cas de ceux qui tiennent un autre discours que le leur et qui ont déjà, à maintes reprises, vu leur intervention censurée par le chahut organisé par les associations de transsexuels, soit carrément interdite par les universités ou les mairies qui avaient, dans un premier temps, accepté un débat contradictoire; mais, sous la pression et en dépit de la liberté d’expression, notamment dans les établissements d’enseignement (ce que la loi votée à la suite de l’assassinat de Samuel Paty définit précisément), ils l’ont finalement interdit.