C’est dans le climat magique qui précède Noël que les initiatives fermentent et ont lieu au Bel Paese, où règne encore, par bonheur, un climat de paix. Il en a été ainsi d’une adaptation créative et particulière de Filumena Marturano à Villa Campolieto, l’une des plus belles demeures vésuviennes du Miglio d’Oro à Herculanum – avenue parsemée de palais où les nobles du temps des Bourbon avaient leurs quartiers d’été.

Il faut le génie d’un dramaturge au destin invraisemblable, Eduardo De Filippo et la passion d’un esthète, Antonello Aprea, fou amoureux du théâtre, à la tête de la troupe de Donna Peppa dont les membres fondateurs se connaissent depuis plus d’un quart de siècle, afin que naisse le miracle et que se répète le moment de grâce à chaque représentation.

Le rôle de l’héroïne hors-normes de cette pièce, Filumena Marturano, Parthénopéenne par excellence, avait été interprété au cinéma dans Mariage à l’italienne par Sophia Loren, avec dans le rôle de Domenico Soriano l’immortel Marcello Mastroianni. Mais le théâtre est vie, énergie à l’état pur. D’une salle à l’autre, durant une heure trente, les spectateurs de la pièce ont suivi Teresa di Rosa, Antonello Aprea, Enza Ascione, Davide Ametrano et d’autres encore, entre fresques centenaires, meubles d’époque, parfums savoureux de cuisine parthénopéenne et musique baroque, assistant ainsi à un spectacle monté comme une véritable fête des sens, avec pour thème central l’essence de l’existence. S’affirment ainsi donc l’amour filial, le rôle central de la femme du Mezzogiorno et de toute femme, garante du noyau familial, l’homme au raffinement détaché, presque cynique, qui se plie à l’inflexible loi de la vie, reconnaissant les enfants conçus hors du lit nuptial, fils de pères inconnus obligatoirement reconnus, portés à bout de bras, tous égaux, tous rois. Dans cette réadaptation géniale et palpitante, Filumena, interprétée par Teresa di Rosa, est une fille de joie devenue femme de tête qui offre, à force d’abnégation, de génie, de patience et de sacrifice, un nom honorable et un toit légitime aux trois enfants qui lui sont échus. Antonello Aprea, metteur en scène et acteur – il joue le rôle de Soriano dans la pièce –, salue les spectateurs encore happés par la violente émotion du texte et du jeu.

L’œuvre d’Eduardo De Filippo n’a pas pris une ride. La réécriture du dialogue en un dialecte napolitain savoureux, les voix des prostituées grimées qui répètent en chœur les mots clés de l’œuvre ou qui jouent à l’arrière plan les scènes du souvenir et de la souffrance, la danseuse de flamenco qui invoque le duende et fait affleurer le pathos de la scène ultime: aucun détail n’a été laissé au hasard. La Filumena de l’âge mûr se mire dans les pupilles d’une Filumena encore jeune, interprétée par Gelsomina Ascione, ramenée sur scène par l’évocation du souvenir. Deux interprètes exceptionnels, témoins des noces improvisées de Soriano et Filumena, offrent des dragées aux présents, ébahis et comblés. Le narrateur, chambellan d’un autre temps, brandit un candélabre et invite les présents vers la pièce finale, recouverte de fresques somptueuses. Le choix de ce drame classique s’inscrit dans la volonté de la troupe de sceller une longue expérience devenue passion. Mais Donna Peppa n’a pas dit son dernier mot. D’autres représentations ont été programmées pour le mois de décembre. Antonello Aprea salue la mémoire du grand dramaturge, auteur de la pièce, et revendique son héritage spirituel: il faut innover pour que le théâtre demeure vie transmise dans l’immédiat.