Le Yusr d’or du Red Sea International Film Festival de Jeddah, soit le prix du meilleur long métrage, a été décerné au réalisateur iraquien Ahmed Yassin Al Daradji pour son film Hanging Gardens. Cette seconde édition du festival a également attribué au directeur photo du film le Yusr d’argent de la meilleure réalisation cinématographique.

Hanging Gardens trace l’histoire d’un jeune garçon menant sa vie de ramasseur d’ordures dans les dépotoirs de Baghdad ou "les jardins suspendus". Il y trouve un mannequin femme qu’il utilise pour se faire un business parmi les jeunes de ce lieu, qui lui permettra de rembourser ses dettes. Naît alors une histoire de dialogue et d’humanité entre lui et la poupée géante. Rencontre avec le jeune acteur, âgé maintenant de 15 ans, et le réalisateur du film, un film aussi poignant que touchant.

Le jeune acteur Wissam Diyaa affirme que ses larmes, lors de la première, étaient des larmes de pur bonheur; c’était la première fois qu’il voyait le film sur grand écran. La difficulté pour lui était de s’adapter à l’environnement d’une autre classe sociale. Quant au rôle, c’était d’aborder les gens dans la rue qui lui rendait la tâche difficile. Son grand frère (dans le film) lui était d’un grand soutien, tandis que "le mannequin était pour moi comme une mère, une sœur, une amie, une amoureuse. Elle était trop grande pour que je puisse la porter, d’où l’idée de la brouette".

Le film a généré en lui toute une palette d’émotions, dont l’inquiétude et la tristesse… "Brûler un petit “personnage” dans le film était une image atroce, une scène que je ne pourrai pas oublier. "

Interrogé sur le courage qu’il lui a fallu pour faire un film face à l’oppression, le réalisateur répond qu’il a été enlevé à deux reprises lors de la guerre civile à Bagdad, emprisonné pendant dix jours et blessé à la jambe après 2003. Pour lui, ce fut le prix à payer pour porter sa caméra et filmer. "Être kidnappé signifie être moralement condamné", affirme-t-il. "Je n’avais plus de visibilité par rapport au temps qu’il me restait à vivre. J’ai alors réalisé que, tant que je suis en vie, il m’est impossible de permettre à qui que ce soit d’effacer ma voix. On a payé cher notre liberté en Iraq: la destruction du pays, les victimes, les morts…"

Dans le film, le spectateur, à bout de souffle, est face à des scènes poignantes, de vie et de mort. "L’environnement paraît hostile, alors que les personnages ne le sont pas en vérité. Ils ne sont pas les victimes, mais les héros de leur propre monde. Quant aux crimes commis sur des nouveaux-nés, j’ai voulu les montrer sur grand écran pour pointer du doigt cette injustice", affirme Ahmed Yassin Al Daradji.

Lors de la projection, certains l’ont accusé de ne pas accorder de place à la femme dans son film. En fait, il dénonce le rôle de la femme dans la société qui la veut effacée, presque inexistante. Le réalisateur montre également le rapport freudien à la mère: l’enfant protège son mannequin ; il la lave de ses "péchés", alors que tant d’autres se servent d’elle. Il la couvre d’habits et de tendresse. Pour la société, cette "femme" est un démon. Pour l’enfant, elle est un ange. "C’est l’aspect le plus important dans mon film", dit-il. "J’ai été élevé au sein d’une famille de sept filles et je voyais à quel point les choses étaient difficiles pour elles. Jusqu’à l’âge de 16 ans, je n’ai jamais vu de sous-vêtement féminin dans une famille conservatrice. C’est pour mes sœurs que la voix de ce film doit porter, ainsi que pour toutes les femmes… Aurait-on eu autant de guerres en Iraq si les responsables de notre pays étaient des femmes?"

Il atteste: "Il y a plusieurs signes dans ce film qui montrent la vérité. C’est ce que je souhaite communiquer aux jeunes. La vérité et le courage." Comme Piece of heaven, cette phrase sur le T-shirt du petit garçon. "Les gens sont les ennemis de ce qu’ils ne voient pas", un proverbe que reprend Ahmed Yassin Al Daradji . Et il conclut: "La fin est une victoire en soi, sur la société et sur lui-même. C’est la victoire de l’individu, loin des moutons de Panurge… bien que je sois responsable d’une tribu, je crois en l’individu, en ses décisions personnelles, indépendamment de la société."

Marie-Christine Tayah

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