"Bien sûr, un livre peut te changer! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis." Gaël Faye 

Pour tenter d’échapper à nos quotidiens difficiles et absurdes, nombre d’entre nous se sont jetés tête la première dans les livres. Fidèles compagnons de chaque étape de vie, ils se sont vu instaurer en unique porte d’évasion dans un pays dont l’horizon s’est dramatiquement rétréci. Et, malgré la crise économique, on s’est partagé des titres, échangé des livres et vécu ensemble au rythme des parutions. La lecture a de multiples bienfaits scientifiquement prouvés. Lire stimule le cerveau, l’empêche de perdre ses capacités, attise la mémoire et améliore l’estime de soi. La lecture diminue le stress, allège l’anxiété et amène à un niveau de détente nécessaire. Porté par les mots, le lecteur chasse ses angoisses en se laissant happer par le récit. En cette nouvelle année qui s’annonce, parmi nos vœux: continuer à lire, lire, lire, pour se sentir mieux.

Mais au-delà de l’aspect ludique de la lecture, de cet agréable moment qui nous extirpe de notre grisaille, de ces quelques heures arrachées à une réalité bien sombre, les livres peuvent avoir une fonction encore plus importante. Il y a plusieurs sortes de livres: les livres de self-help, ceux qui amènent à la connaissance de soi et les fictions qui peuvent aider par un déclic. Certains ouvrages seront des classiques du genre, d’autres des livres plus contemporains. À travers une thématique, un narrateur ou un personnage, on retrouve nos propres peurs, réussites ou échecs. Pour Carlos Ruiz Zafon, "les livres sont des miroirs, et l’on n’y voit que ce qu’on porte en soi-même". Pour Alberto Manguel, "l’essentiel de la réalité se trouvait dans les livres; lire des livres, écrire des livres, parler de livres".

Connaissez-vous la bibliothérapie? Cette méthode de soin par la lecture connaît un grand engouement en Europe. Elle part du principe que tout est déjà dans les livres et que c’est dans les livres que nous puisons notre faculté à exprimer nos émotions et à résoudre nos problèmes personnels. Nos peurs, nos faiblesses, nos douleurs, nos bonheurs aussi sont là quelque part, écrits dans le panthéon des livres et retrouver les mots qui décrivent sentiments et névroses, angoisses et émotions nous aidera à nous identifier, à avancer, à dépasser et à mieux être. Et là on ne parle pas du tout des livres de self-help ou de thérapie ou de développement personnel qui ont envahi les rayons des librairies depuis quelques années. Non. Certains textes dans la littérature peuvent être édifiants pour entraîner le lecteur dans une perspective autre nettement plus porteuse et ouverte. Ces livres fondateurs dit "classiques" peuvent faire un très bon boulot pour soigner nos différents maux de l’âme et même du corps. "Ouvrir un livre c’est avoir une réponse. Intransitive, sibylline, mais une réponse." Martine Mairal

La bibliothérapie part donc du principe que c’est dans les livres que nous puisons notre faculté à exprimer nos émotions. Non pas que nous ne les ressentons pas, mais c’est juste que nous ne savons souvent pas comment les exprimer. "Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour", disait La Rochefoucauld. Plus gravement André Gide avait remarqué que les soldats durant la Première Guerre mondiale utilisait les mots des journalistes pour raconter ce qu’ils avaient vécu. Parce que mettre des mots sur ce que l’on ressent n’est pas donné à tout le monde. Or les peines sont souvent universelles et donc lire les mots d’un autre qui parle de nos douleurs à nous a quelque chose d’extrêmement libérateur. D’abord nous ne sommes pas seuls, ensuite nous sommes compris, et enfin nous aurons "les mots pour le dire". Nos douleurs deviennent récits.

La définition officielle est la suivante: "La bibliothérapie est l’utilisation d’un ensemble de lectures sélectionnées en tant qu’outils thérapeutiques en médecine et en psychiatrie. Et un moyen de résoudre des problèmes personnels par l’intermédiaire d’une lecture dirigée."  Selon Marc-Alain Ouaknine qui a beaucoup travaillé sur les vertus de la lecture: "la bibliothérapie consiste à rouvrir les mots à leur sens multiples. La bibliothérapie ainsi comprise doit permettre à chacun de sortir de l’enfermement, de la lassitude, pour se réinventer, vivre et renaître à chaque instant dans la dynamique d’un langage en mouvement."

Il y a également deux faces dans la langue: la face paternelle et la face maternelle. La face paternelle c’est justement la syntaxe, l’analyse, la grammaire, le style alors que la face maternelle de la langue est cette musicalité, le rythme, le bercement de la voix. Lire à haute voix comme on le fait avec les enfants peut les aider à réparer les blessures de la journée et dormir plus sereinement. Lire à haute voix peut apaiser les gens, les envelopper. C’est la face thérapeutique de la lecture. C’est donc très important aussi d’écouter les textes, de fermer les yeux et de se laisser porter par le rythme. La musicalité donc la face maternelle de la langue enveloppe et apaise. Pour Lacan, les métaphores, images littéraires sont autant de moyens de toucher notre corps. Les personnes vont prendre ce dont elles ont besoin. Pour Régine Détambel, une des spécialistes mondiales de la bibliothérapie, "On connaît aussi les vertus des mots aujourd’hui suivant des expériences qui ont montré l’impact de ces mots sur le cerveau à travers des IRM. Parce qu’on vient de découvrir sur l’IRM du cerveau humain que lorsqu’on lit une phrase avec des verbes d’action: il court, il tape sur un clou… ces phrases allument les aires cérébrales motrices correspondantes c’est à dire les muscles du corps se préparent à faire la même chose."

Alors prescrire des livres pour soigner? Et pourquoi pas? Lorsque l’on sait l’impact qu’ont pu avoir des livres que nous avons lus durant notre jeunesse, notre adolescence ou à différentes phases de notre vie d’adulte, on peut juste avoir envie de retrouver cet enchantement, cette découverte, ce choc littéraire ou spirituel mais aussi relire autrement certains classiques en nous projetant alors dans ce héros vaillant ou fragile, malmené ou triomphant et en comprenant que certains livres peuvent être une belle leçon de vie. Ainsi, "le livre offre une découverte, une révélation, un déclic. Le livre permet de rendre le monde intelligent, il dénoue les conflits psychiques, m’identifiant au personnage, je comprends que je ne suis pas seul dans cette situation. Qui se croit seul de son espèce peut rencontrer au détour d’une page une autorisation d’être ce qu’il est, une reconnaissance de lui-même, voire un sentiment de légitimité".

Victor Hugo a écrit "la lumière est dans les livres, Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire". Dans cette nouvelle année 2023 qu’elle soit tumultueuse ou plus apaisé, laissons-nous porter par ce que les livres veulent bien nous apporter. Une fois par mois, on se donnera, si vous le voulez bien, rendez-vous avec ces œuvres magistrales qui ont traversé le temps parce que si riches et si fondatrices ou encore avec ces livres-pépites qui, longtemps après qu’on les ait refermés, continuent à jouer leur musique dans nos esprits avides d’identification ou de consolation ou également avec un atelier de lectures avec des thèmes qui nous interpellent, avec des extraits partagés, à partager, pour prouver, s’il fallait encore le faire que, comme disait Proust, "la lecture est une amitié".

Le livre que je tiens entre les mains se met parfois à sourire. J’apprends que je suis vivant. Je dois cette bonne nouvelle à "l’air qui circule sous une phrase en faisant flotter ses mots, très légèrement, au-dessus de la page". Christian Bobin.