L’exposition de Ammar Hammoud se tient à la galerie Mark Hachem à Beyrouth du 19 janvier au 1er février.

Ammar Hammoud, élevé par des parents tous les deux peintres renommés, semble prédestiné à une carrière artistique. Ayant entamé des études d’art à Damas, il poursuit sa formation à Londres au collège David Game puis se déplace ensuite à Barcelone pour pratiquer et développer son talent.

Cet artiste hors du commun cherche dans sa quête artistique à s’affranchir de toute exigence de beauté esthétique pour bousculer les principes établis, construire son propre langage et délivrer un message fort et sans concession. En se détachant de tout désir de séduction, Ammar remet ainsi en question le concept même de l’œuvre artistique. La valeur de cette dernière consistant essentiellement selon lui à stimuler l’esprit, à révéler avec un effet de loupe les travers de la société et tenter d’y trouver un remède.

L’artiste dans ses œuvres crée ainsi l’image-choc dont l’effet visuel attire l’attention, marque l’esprit et la mémoire de son empreinte indélébile en suscitant effroi et questionnement. Un univers troublant se révèle ainsi, une sorte d’écriture graphique, stylisée qui s’inscrit en encre noire sur canvas avec fond blanc ou coloré et qui hésite entre langage digital codé ou langage simplifié des signes qui ne peut manquer de rappeler la période de l’art primitif précédant celle du cubisme. L’artiste revisite d’ailleurs dans certaines de ces œuvres des tableaux célèbres de Picasso comme Guernica ou La Femme qui pleure.

Cette expression originale du dessin codifié ou cryptogramme propre à Ammar Hammoud reste chargés de sens et s’affirme comme une quête qui consiste à décrypter l’énigme, à en dérouler le fil d’Ariane tout le long d’un parcours labyrinthique, dans une sorte de dédale linguistique qui entraîne le spectateur dans les profondeurs de l’inconscient pour y vivre l’expérience de l’enfermement. Les couloirs de cet univers carcéral parsemé d’obstacles sont habités par d’étranges personnages et surtout par des visages de femmes tourmentés, déformés par la douleur et l’angoisse, et dont le regard éperdu part dans tous les sens.

Ammar Hammoud nous laisse ainsi voir un monde intérieur glauque et sans repères, des corps féminins compressés, coincés dans un espace réduit, participant eux-mêmes à ce cloisonnement. Sur les visages des lèvres rouges protubérantes véhiculent plusieurs messages-clés: celui du feu rouge, symbole de l’interdit, celui de l’enseigne lumineuse qui veut attirer et séduire, et celui surtout du signal d’alarme lancé par l’artiste pour stigmatiser le phénomène sociétal de la femme-objet marquée au fer rouge, réduite au rang de bétail, conditionnée à répondre aux désirs d’une société machiste. L’artiste dénonce aussi une humanité mise en danger par l’indifférenciation et la standardisation de masse, une féminité faite d’artifices qui s’éloigne de plus en plus de son essence faite de naturel, de simplicité, de charme et de beauté.

Se laisser guider par Ammar Hamoud dans son univers étrange et énigmatique est sans aucun doute un exercice dérangeant, une expérience éprouvante, mais ô combien nécessaire. Avec l’artiste, faire œuvre d’introspection pour chercher la solution à l’énigme reste un jeu qui d’emblée peut sembler difficile, mais son enjeu en vaut certainement le détour… À condition, bien sûr, de ne pas se perdre en chemin.