Mise au monde en 1931 par Jacques Schiffrin au sein de ses éditions de la Pléiade en 1923, Gallimard rachète, le 31 juillet 1933, la collection de la "Bibliothèque reliée de la Pléiade" et Jacques Schiffrin en reste le directeur. La Pléiade conserve le savoir-faire artisanal qui perdure au fil du temps. Les trois usines qui contribuent à la réalisation de cet objet de valeur, ce chef-d’œuvre, sont les mêmes depuis la création de la collection.

"La Pléiade": retour aux sources

La collection a pour but de regrouper au format poche les œuvres complètes des auteurs classiques, tout en les rendant accessibles à la lecture. Le petit format s’impose, la couverture est en cuir souple et la typographie lisible. Depuis la création de la collection en 1931, qui sera intégrée aux éditions Gallimard en 1933, la maquette n’a pas bougé. Format poche, papier bible opacifié, caractères Garamond, couverture cuir avec dos doré à l’or fin, étui blanc: les Pléiades sont immédiatement reconnaissables. "La Pléiade" devient aussi une collection de référence et constitue un éventail d’auteurs classiques ou contemporains d’après-guerre, André Gide étant le premier écrivain contemporain à y être inclus de son vivant en 1939. Il fut suivi de 11 autres, jusqu’à Kundera en 2011.

John Steinbeck fait son entrée

Plus de soixante ans après son prix Nobel, John Steinbeck vient de faire son entrée dans la fameuse "Bibliothèque de la Pléiade" dont le catalogue forme un Panthéon des lettres. Les quatre romans de Steinbeck après avoir été réunis, partent chez le diffuseur, puis en librairie. Au début de l’introduction, page IX, le lecteur découvrira ces mots de 1939: "Je n’ai jamais voulu être un écrivain populaire."

D’usine en usine, le savoir-faire perdure

Une usine pour un papier ultrafin, une autre pour l’impression, une dernière pour la reliure et la décoration: la fabrication d’un volume de la Pléiade est un processus industriel et artisanal de haute précision.

"L’exigence" dans la qualité de fabrication est un terme qui revient souvent chez le directeur de production de Gallimard, Pascal Lenoir. "Le lecteur de la Pléiade s’attend à ce que son volume acheté en librairie soit parfait", souligne-t-il. Cela se termine dans l’usine Ateliers Babouot à Lagny-sur-Marne, à l’est de Paris, par le coup de main qui glisse le volume de 1.664 pages dans un étui cartonné blanc. Sous une photo de l’auteur, "John Steinbeck" en rouge, "Romans" en noir. Cela commence par la fabrication du papier à la Papeterie du Léman, près du lac du même nom, à Publier en Haute-Savoie. Quand cette usine a commencé à travailler pour la Pléiade, elle appartenait encore au groupe Bolloré, qui l’a revendue en 2009. Ce rival de Gallimard dans le secteur de l’édition voit encore son nom imprimé en fin de volume: le précieux papier est signé Bolloré Thin Papers, qui a peu à peu supplanté d’autres fournisseurs. Une machine y travaille, à la commande, quelques fois par an seulement.

Avec une machine à papier n°4, est produit entre autres le papier pour Gallimard, appelé le Bible 36 chamois; 36 grammes par mètre carré, couleur chamois, explique le responsable de production Ivan Fourmond. "Elle fait à peu près 80 mètres de long, du début à la fin, sur trois étages, puisqu’il y a énormément d’étapes pour fabriquer une feuille de papier", poursuit-il. Ainsi, de gros rouleaux sortent de cette machine, parfaitement lisses et uniformes.

Direction le site de Normandie Roto Impression, en périphérie d’Alençon, à 800 km de là. Il est le seul qui ait la confiance des éditions Gallimard. "La bobine, le papier vierge rentre dans le groupe d’impression. On imprime recto-verso et on imprime en deux cahiers de 48 pages, c’est-à-dire qu’on imprime 96 pages en une rotation du groupe d’impression", affirme le directeur général Christophe Pillon.

Le résultat est vérifié à l’œil nu. L’alignement des blocs de texte entre recto et verso doit être impeccable. Les cahiers posés à plat partent alors pour la dernière étape, chez Babouot. Là, ils reposent dans l’entrepôt de l’usine. Sur 3.700 m2, celui-ci compte en réserve quelque 300 auteurs différents dont les œuvres sont prêtes à être reliées de nouveau; la Pléiade est un cas quasi unique de réimpressions s’étalant sur des décennies. "Nos machines doivent se plier à l’exigence de Gallimard et l’opérateur doit s’adapter aux machines de différentes époques", souligne Marie-Amandine Erika, technicienne de fabrication. Installé près des bords de Marne depuis un demi-siècle, le lieu est volontairement humide. Ce papier bible garde plus de souplesse et de régularité dans une hygrométrie plutôt élevée.

Un travail artisanal minutieux

Un volume de la Pléiade réclame trois semaines de fabrication, entre la sortie d’entrepôt des cahiers imprimés et le produit fini. On traque dès l’origine défauts d’impression ou de pliure. Les cahiers sont assemblés avec du fil de couture en coton, ensuite collés ensemble, dotés d’une page de garde, maintenus dans une "mousseline", enfin massicotés. Il faut ensuite leur adjoindre la fameuse couverture cartonnée habillée de cuir. Quant aux peaux venues de moutons de Nouvelle-Zélande, elles sont tannées et teintes en France. À chaque époque ou siècle correspond sa couleur: havane pour le XXe. Quelle sera celle des auteurs du XXIe? "On ne le sait pas encore nous-mêmes…", répond Hélène Ladégaillerie, directrice de production chez Babouot.

Les dos sont décorés à l’or 23 carats, avec des fers qui appliquent les rayures horizontales caractéristiques de la collection. Pour 260.000 exemplaires par an, Gallimard consomme quelque 45 kg du métal précieux. Une machine applique à ces dos la courbure appréciée des bibliophiles.

Contrôlé et recontrôlé à chaque étape, chaque volume est achevé à la main quand il reçoit sa jaquette plastique transparente en rhodoïd, est inséré dans son étui, puis placé ensemble en carton.

Marie-Christine Tayah
Instagram: @mariechristine.tayah
Avec AFP