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Anatomie d’une chute de Justine Triet, lauréate de la Palme d’Or en 2023, explore l’écart vertigineux entre notre quête de vérité et la réalité insaisissable qui nous entoure. Le film aborde cette notion en mettant en lumière plusieurs perspectives, allant de la subjectivité individuelle à des domaines plus structurés comme la psychanalyse, le système judiciaire, la littérature et le cinéma.

Anatomie d’une chute, le dernier chef-d’œuvre de Justine Triet, s’ouvre sur la scène bouleversante de la découverte d’un homme, Samuel, mort dans des circonstances mystérieuses. Le film tourne autour du procès qui s’ensuit, accusant sa femme, Sandra, de sa mort. Leur fils Daniel est pris entre sa loyauté envers sa mère et son désir de découvrir la vérité qui se cache derrière la mort de son père.

Les protagonistes du procès, brillamment incarnés par Antoine Reinartz et Swann Arlaud, sont pris dans une lutte incessante entre le monde de l’imaginaire et le besoin irrépressible de faits concrets. Chaque participant dans ce processus judiciaire projette sa propre subjectivité sur la trame de la réalité, démontrant ainsi l’inaptitude du système à saisir une vérité universelle. Les avocats, avec leurs plaidoyers et contre-interrogatoires, montrent à quel point cette vérité est polyvalente et peut être façonnée pour servir des agendas particuliers.

Le film met également en lumière l’ironie de l’expérience humaine, où notre relation avec le réel est constamment filtrée par nos imaginations. À cela s’ajoute une critique subtile du monde de la psychanalyse. Le thérapeute du défunt intervient, brouillant encore plus la ligne entre interprétation et réalité. La femme au centre du drame, elle-même écrivaine célèbre, remet en question la validité d’identifier la psychanalyse comme une voie vers la vérité.

Alors que le couple en question est également exploré à travers une scène de conflit émotionnellement chargée, le film refuse de prendre parti. La vérité, en effet, est polyphonique, façonnée par les souffrances individuelles et collectives. Samuel et Sandra incarnent un équilibre fragile et les deux semblent également responsables de la tension qui éclate finalement en tragédie. Les deux sont hantés par un accident qui laisse leur fils malvoyant, ajoutant une couche supplémentaire de culpabilité et de regret au drame.

Dans tout ce brouillard de réalités fragmentées, le personnage le plus émouvant est peut-être Daniel, leur enfant. Confronté à l’effondrement du monde de ses parents, il est catapulté dans un rôle qu’aucun enfant ne devrait avoir à jouer: celui de juge et d’interprète de la tragédie adulte. Dans un geste poignant, c’est son acte d’amour qui prend le devant de la scène à la fin du film, suggérant que peut-être, au-delà de notre quête futile de vérité, l’amour demeure la seule constante sur laquelle nous pouvons nous appuyer.

Anatomie d’une chute n’essaie pas de donner des réponses, mais plutôt de poser des questions qui résonnent dans les esprits des spectateurs. Au cœur de cette odyssée se trouve notre propre humanité, imparfaite, mais capable de grands actes d’amour et de compassion. Le film est une expérience cinématographique riche et complexe qui défie les conventions du genre judiciaire pour plonger dans des questions plus profondes et universelles. Au-delà du suspense de l’affaire, il explore les confins obscurs de la psyché humaine et la fragilité de nos conceptions de la vérité. Il n’offre pas de réponses faciles, mais laisse le spectateur avec des questions persistantes qui résonnent longtemps après que les lumières de la salle se sont rallumées.