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Au cœur du Vieux-Nice, là où se glisse, dans le dédale des ruelles ombragées, un rayon de soleil, on est frappé par la façade opulente d’une bâtisse au portail de marbre. C’est le palais Lascaris dans toute sa splendeur. Cette ancienne demeure aristocratique est aujourd’hui un musée des instruments de musique anciens qui accueille aussi des expositions artistiques. Le musée abrite une remarquable collection d’environ 500 instruments, ce qui en fait la deuxième plus importante en France.

Il faut remonter loin, bien loin, dans la première moitié du dix-septième siècle, quand la famille Lascaris de Vintimille a construit ce palais flamboyant et dessiné ses armoiries sur la voûte du plafond: une aigle à deux têtes couronnées, tenant en leur bec le ruban de la devise Nec me fulgura (Rien ne me foudroie). Ce monument historique à l’architecture baroque appartient à Jean-Baptiste Lascaris, maréchal de camp du duc de Savoie et descendant du comte de Vintimille et de la fille de l’empereur byzantin Théodore II Lascaris. La famille Lascaris-Vintimille a compté, toutes branches confondues, de nombreux chevaliers et dignitaires de l’Ordre de Malte.

Lors de la Révolution française, la noblesse est dépouillée de ses biens et la famille Lascaris se voit dépossédée de son magnifique palais. Il est mis en vente en 1802. Après plus d’un siècle, en 1942, la ville de Nice rachète le palais afin d’y aménager un musée des arts et traditions populaires régionaux. Il sera classé monument historique en 1946.

Ce n’est qu’à partir de 1963 que le palais, très abîmé, connaît d’importants travaux de restauration qui ne s’achèvent qu’en 1970. Transformé en musée, le palais Lascaris retrouve son lustre d’antan avec ses balcons à balustres de marbre blanc. Il ouvre ses portes au public. Il réunit les symboles majeurs des beaux-arts des dix-septième et dix-huitième siècles: architecture, arts décoratifs, sculptures et peintures. Il fera l’objet de nouveaux travaux de restauration de 1996 à 2001, dates auxquelles les instruments de musique anciens de la ville de Nice seront transférés du musée Masséna au palais Lascaris pour une exposition permanente.

Ce palais recèle des trésors insoupçonnés. Nous voici dans le prestigieux vestibule d’entrée prolongé par un escalier d’honneur qui témoigne de l’influence artistique génoise. À droite, dans une salle qu’elle appelle "chambre des merveilles", l’artiste niçoise Sylvie T. a accroché aux murs blancs ses dessins, gravures et créations baroques. Elle accueille gracieusement le public, présente son exposition Le baroque de A à Z. La "chambre des merveilles" offre une introduction au mouvement baroque et pose un regard inédit sur des détails de l’architecture du palais. Elle a réuni, pendant sa résidence d’artiste au palais, plus d’une cinquantaine de dessins, gravures et carnets de croquis à l’encre de Chine et à l’aquarelle.

Revenons à l’escalier monumental. Il est agrémenté de balustres sculptés et de statues de marbre, celles de Mars et de Vénus; on reconnaît un buste de Bacchus enfant, mais il y a aussi, de part et d’autre, des bustes d’ancêtres impériaux de la famille des Lascaris-Vintimille.

Au premier étage, les salles aux plafonds surbaissés, qui abritaient les appartements privés de la famille Lascaris, accueillent les admirables œuvres d’Odon dans une exposition Odon, métamorphose baroque. On y découvre plus d’une soixantaine de tressages et dessins de l’artiste plasticien décédé en 2017 dont on retrouve les collections dans de nombreux musées en Europe et aux États-Unis. L’influence du baroque se voit dans les courbes et contrecourbes, les spirales, les tourbillons, les torsions et distorsions, les plis et mouvements. Ses œuvres entrent en résonance avec les couleurs ocres des décors en trompe-l’œil du musée dont elles subliment la beauté.

L’ascension continue au second étage que l’on désigne par "étage noble" et qui correspond aux palais génois avec des appartements d’apparat aux splendides plafonds d’origine à thèmes mythologiques, peints par des peintres de l’École génoise et des stucateurs lombards. On apprend que subsistent encore les boiseries des portes et de la Chambre des saisons de style rococo. Les salons ont été meublés grâce aux collections des musées de Nice, aux donations et acquisitions. De belles tapisseries flamandes et d’Aubusson ornent les murs.

Le grand salon possède un plafond peint à la fresque qui comprend "la chute de Phaéton foudroyé par Jupiter", mythe souvent représenté dans les résidences de l’aristocratie ligure.

Si le palais Lascaris comprend, parmi ses trésors, la deuxième plus importante collection des instruments de musique anciens en France, c’est bien grâce à des artistes comme Gisèle Tissier-Grandpierre (1896-1988), harpiste virtuose et passionnée d’art et de musique. Elle a animé la vie mondaine des années 1920 à Nice, organisant les éblouissantes "Fêtes d’art" et tenant un salon de musique dans sa villa. Elle lègue à sa mort, à l’Institut de France, sa collection de 66 instruments de musique, certains datant du dix-septième siècle, dont 18 harpes. Cette collection fut, après la signature d’une convention, transférée au palais Lascaris dans l’antichambre de la chapelle.

Témoignant des goûts musicaux de la grande bourgeoisie niçoise au dix-neuvième siècle, une précieuse collection d’instruments de musique provient du legs d’Antoine Gautier (1825-1904), musicien amateur qui jouait du violon et de l’alto avec son frère Raymond. Il avait aménagé son salon de musique dans sa maison que de nombreux artistes fréquentaient. Deux salles dévoilent les fabuleux instruments issus de sa merveilleuse collection de 225 instruments venus du monde entier et l’une des plus importantes d’Europe.

On peut admirer en vitrines, en passant d’une salle à l’autre, une saqueboute ténor liée à la musique sacrée, des guitares baroques très à la mode à la cour de Louis XIV, des violes d’amour décorées de nacre et d’une tête aux yeux bandés comme une métaphore de l’amour aveugle. La musique est un art éphémère dont il ne reste que des partitions et des instruments, mais que l’on peut faire revivre. Chaque année, on donne, dans les salons du palais, une vingtaine de concerts qui permettent d’entendre les qualités sonores des violes d’amour, aujourd’hui perdues.

On découvre, au fil de la visite, un ensemble de petits violons destinés aux maîtres à danser du dix-huitième siècle qu’ils sortaient de leur poche, des violes de gambe, une basse de violon, des flûtes à bec, un grand piano en forme de clavecin et des harpes. Mais aussi un rare ensemble de clarinettes dont un cor de basset tout en délicatesse que Mozart affectionnait pour sa sonorité mélancolique et lié aux rituels de la franc-maçonnerie.

On y trouve aussi un quatuor de saxophones et un saxotromba mais aussi des instruments à clavier, dont un piano à queue Playel d’un modèle somptueux qui fut commandé par le cercle Masséna de Nice (dirigé par le comte Eugène de Cessole en 1861) et un ensemble d’instruments de jazz…

La collection instrumentale du palais fait partie du projet Mimo (Musical Instrument Museums Online) dont les notices sont accessibles sur le site de la bibliothèque numérique Europeana.

L’exposition de Sylvie T. Le baroque de A à Z se déroule au palais Lascaris jusqu’au 4 janvier 2024. Celle d’Odon, Métamorphose baroque, jusqu’au 25 septembre 2023.