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Sous l’ombre menaçante de la guerre à Gaza et le risque d’embrasement régional qui prévaut, et en dépit des obstacles qui jalonnent leur chemin, les Musicales de Baabdath ont courageusement entamé leur septième saison musicale le 10 octobre. Une audacieuse déclaration de foi en la puissance de la musique à réunir, à panser, à transcender et à adoucir les mœurs.

Le coup d’envoi de la septième saison des Musicales de Baabdath, composée de dix concerts qui s’étendent jusqu’au 29 novembre, a eu lieu mardi dernier, en dépit des circonstances difficiles qui prévalent à Gaza, où une guerre âpre menace également les frontières libanaises. Cette initiative dénote une hardiesse et une audace incontestables de la part des organisateurs, qui ont su persévérer face aux défis et aux incertitudes qui se dressaient devant eux et dont l’ombre continue fâcheusement de perdurer. L’espoir réside dans la conviction que la musique, véhiculant des messages d’harmonie et d’unité, peut apaiser les cœurs endurcis par la violence et contribuer à un monde plus pacifique.

Les Musicales de Baabdath ont ainsi proposé un concert inaugural élégant, placé sous la direction du chef d’orchestre français, Jean-Pierre Schmitt, mettant en lumière des œuvres peu conventionnelles, et ce, avec une note d’originalité apportée par des pièces consacrées au saxophone et interprétées par le saxophoniste américain, Javier Oviedo. Le prélude du Déluge op.45 de Camille Saint-Saëns (1835-1921), interprété uniquement par les cordes avec un passage pour violon solo, a instauré une atmosphère de quiétude et de contemplation, évoquant le monde paisible d’une ère où l’humanité n’avait pas encore amorcé son schisme avec la spiritualité. Ensuite, la Grande fantaisie brillante issue du Carnaval de Venise de Louis Mayeur (1837-1894), a infusé ses mélodies printanières et enjouées, contrastant de manière poétique avec le prélude du compositeur français, symbolisant, de ce fait, la douceur et la légèreté de l’existence avant les épreuves. La transition vers la symphonie pour cordes no.10 en si mineur de Félix Mendelssohn (1809-1847) a ravivé les échos des influences classiques avec des réminiscences de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), Joseph Haydn (1732-1809) et Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791).

Finalement, les trois pièces lyriques (Feniciană pour orchestre à cordes, Transumanti et un Aria pour saxophone solo et orchestre à cordes) de Nicolas Chaanine, qui ont inauguré cette soirée musicale, y ont insufflé une dimension contemporaine et audacieuse. Leurs rythmes changeants, oscillant de la quiétude à la tempête, se dessinent tel un parallèle métaphorique aux enjeux et aux bouleversements qui émaillent l’histoire humaine depuis les anciens temps et jusqu’à nos jours. Ainsi, ce concert a offert un voyage musical intéressant, naviguant entre les gouffres des eaux tumultueuses et les récifs de la sérénité de l’existence, entre le classicisme traditionnel et le contemporain innovant. Un périple reflétant les tourments et les apaisements des sentiments humains, en constante évolution au fil de ces sombres temps.

À l’issue de cette prestation, le maestro français, basé à New-York, Jean-Pierre Schmitt, est revenu, pour Ici Beyrouth, sur les circonstances de cette collaboration et sa relation avec le Classical Saxophone Project qu’il a fondé avec Javier Oviedo.

Dans quel style musical s’inscrit l’œuvre de Nicolas Chaanine que vous avez interprétée mardi dans le cadre des Musicales de Baabdath? Quels éléments distinctifs de cette composition ont retenu votre attention en tant que chef d’orchestre?

En ma qualité de directeur artistique du Classical Saxophone Project, institution basée aux États-Unis et dédiée à la promotion de la musique classique et contemporaine pour saxophone, excluant ainsi des genres tels que le jazz ou la musique commerciale, j’ai eu le plaisir de commander une composition au compositeur libanais, Nicolas Chaanine. Cette pièce est baptisée Transumanti. D’une façon plus générale, l’œuvre de Nicolas se distingue par une tonalité résolument ancrée dans la tradition occidentale, tout en revêtant une dimension contemporaine qui s’imbrique harmonieusement avec des échos, des accents, des émotions et des réflexions issus de la musique orientale.

Plusieurs aspects de l’œuvre de Nicolas m’ont profondément captivé en tant que chef d’orchestre. Tout d’abord, sa musique est d’une sensibilité exquise, marquée par une profusion d’émotions, de mouvements lents, de phrases musicales et de sonorités d’une beauté saisissante, conjugués à une énergie éminemment vivifiante. L’utilisation de rythmes marqués d’une énergie palpable, parfois même d’une puissance quasi-violente, confère une dynamique intéressante à l’ensemble. Puis, l’œuvre s’empare habilement de la mélancolie et de la douceur, déployant un spectre émotionnel d’une ampleur prodigieuse. En somme, la musique de Nicolas Chaanine peut être comparée à une grande fresque digne d’admiration.

En tant que directeur artistique du Classical Saxophone Project, comment choisissez-vous les artistes avec lesquels vous collaborez et les lieux où vous vous produisez dans le monde? Qu’est-ce qui vous a attiré vers le Liban et les Musicales de Baabdath en particulier?

Généralement, le saxophoniste Javier Oviedo et moi-même sommes conviés à des concerts et à des tournées à travers le monde. Parmi nos destinations passées figurent la Russie, la Moldavie, la France et l’Amérique centrale, pour n’en citer que quelques-unes. Le répertoire du saxophone, qu’il soit classique ou contemporain, demeure largement méconnu, en grande partie parce que les gens ont tendance à l’associer presque exclusivement au jazz. Notre mission consiste à démontrer que le saxophone revêt de nombreuses autres dimensions. Javier Oviedo, en tant que soliste exceptionnel et musicien accompli, sait admirablement mettre en lumière ces facettes diverses.

Le pur hasard de la vie m’a guidé vers le Liban. En effet, j’ai eu l’occasion de rencontrer un jeune chercheur libanais aux États-Unis, avec qui j’ai eu des échanges approfondis portant sur la situation au Liban. C’est à ce moment-là qu’a germé en moi l’idée de pouvoir peut-être apporter une contribution, aussi modeste soit-elle, en faveur du Liban, ou de venir en aide aux musiciens de ce pays en organisant des concerts. Ainsi, en janvier 2022, j’ai effectué ma première visite au Liban dans le cadre d’un concert quelque peu improvisé. Cette visite m’a amené à rencontrer et à échanger de manière extrêmement fructueuse avec les musiciens locaux. Une relation amicale s’est naturellement tissée entre nous. Ils m’ont chaleureusement invité à revenir.

Et, pour être tout à fait sincère, mon attachement pour le Liban s’est renforcé au fil du temps et je me suis pris d’une profonde affection pour ce pays, où je me sens véritablement en harmonie. Ainsi, j’ai effectué un deuxième voyage, puis un troisième. C’est à ce stade que l’idée de fonder l’Orchestre de chambre de Beyrouth nous est venu, Nicolas Chaanine et moi. Avant-hier, le 10 octobre, nous avons effectivement tenu notre premier concert en tant que formation aux Musicales de Baabdath. C’était le point de départ de futurs projets ambitieux de concerts que nous planifions pour cette année, tout en initiant des démarches pour sécuriser le financement requis.

En dépit de quelques œuvres signées par des maîtres comme Alexandre Glazounov (1865-1936), Jacques Ibert (1890-1962), Charles Koechlin (1867-1950) et Darius Milhaud (1892-1974), le saxophone est souvent associé au jazz. Néanmoins, le Classical Saxophone Project demeure résolument consacré à l’exploration de l’univers de la musique dite classique à travers cet instrument. Comment, selon vous, le saxophone peut (ou pourrait) insuffler une dimension inédite à la musique classique?

À l’issue de chacun de nos concerts, Javier Oviedo et moi sommes fréquemment approchés par des spectateurs qui nous avouent leur surprise quant à la sonorité exceptionnelle du saxophone. En tant qu’instrument de musique, le saxophone est tout à fait polyvalent, capable d’interpréter divers styles musicaux. Jusqu’à présent, il a été principalement associé au jazz. Cependant, notre mission est de démontrer que le saxophone peut rivaliser en versatilité avec un violon, égaler en émotion un violoncelle et se montrer tout aussi expressif qu’un piano. Il est grand temps que le public prenne conscience que le saxophone a bien plus à offrir que ce à quoi il a été limité, même s’il a excellemment servi le jazz grâce à d’éminents musiciens.