Cet ouvrage renouvelle l’approche des contes de fées sous l’angle de la neurophysiologie. Pour l’auteur, Laurent Vercueil, neurologue au CHU de Grenoble et chercheur à l’Institut des neurosciences (Inserm), les contes qui font surgir l’extraordinaire décrivent des pathologies neurologiques. Le sous-titre, Neurophysiologie des contes de fées, précise sa démarche. Son but n’est pas de donner des clés de lecture ou des symboliques cachées – cfPsychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim (Laffont, Pluriels, 1976) – mais de prendre le conte à la lettre, d’étudier ce qui est décrit: l’événement qui touche un personnage, les traits physiques et comportementaux, en plus de trouver les indices d’une réalité recomposée intégrant le merveilleux (on passe du conte de fées au compte de faits). Les troubles neurologiques érigent des figures stéréotypées (fantômes, zombies…) et le scientifique doit créer des hypothèses en ne se basant que sur les faits. Le neurologue s’inspire de Conan Doyle, lui aussi médecin, qui, assistant aux cours du Dr Joseph Bell à l’université d’Édimbourg, fut éberlué par son pouvoir de déduction qui lui inspira Sherlock Holmes. Le professeur consultait avec ses étudiants une mère et son enfant et il lui demanda si elle n’avait pas un autre enfant, si elle n’était pas passée par le jardin botanique, si elle ne travaillait pas à l’usine de linoléum. De fait, il avait observé le manteau trop petit de l’enfant, la boue rouge sur les chaussures, la dermite de la main caractéristique du contact avec le linoléum. Dans les contes de fées, des personnages constituent la version enchantée de troubles neurologiques frappant l’imagination. Qui et quels sont-ils?

La Belle au bois dormant, une maladie du sommeil

Qui ne connaît pas le conte de La Belle au bois dormant ou Rose d’épine? Une fée, non invitée à la naissance d’une princesse, jette un sort la condamnant à mort, sort renversé par une autre fée minimisant la mort en sommeil prolongé. L’enfant grandit, trouve un jour le fuseau interdit, se pique, s’endort aussitôt comme une masse, avec la brutalité d’un accident vasculaire. Le sort, qui dure cent ans, est levé quand le prince l’embrasse. Si Belle s’endort, La Belle au bois dort-elle vraiment? Et si ce n’est pas du sommeil, mais une apparence du sommeil? Belle dort mais garde ses fonctions vitales: elle est bien oxygénée comme l’attestent les "couleurs vives de son teint", respire bien, a les yeux fermés montrant le sommeil. Et si son immobilité était une paralysie due à un empoisonnement au curare mis sur la pointe du fuseau? Le curare a gagné les synapses neuromusculaires, bloqué la transmission de l’information et elle ne peut bouger. Cette hypothèse doit être écartée car le curare n’endort pas, mais tue. Une autre cause de paralysie subite qui garde la personne consciente est le syndrome de l’enfermement, locked-in syndrome ou accident vasculaire cérébral (AVC). Les patients souffrent d’une thrombose de la partie inférieure du cerveau, le tronc cérébral, alors que le reste du cerveau est indemne. Ils reprennent connaissance, mais certains ne peuvent commander le corps, récupèrent peu de motricité, sont inconscients ou dans le coma. Les victimes d’AVC, faute de soins rapides et appropriés, ne récupèrent pas, or Belle se réveille sans dommage. Trois pathologies sont possibles. L’hypersomnie idiopathique, prolongement anormal du sommeil affectif (somnolence diurne par un allongement du temps de sommeil nocturne et difficultés à se réveiller le matin), est exclue: Belle n’a pas de périodes d’éveils. Le syndrome de Kleine-Levin, lui, touche des ados (masculins à 80%) qui dorment subitement de façon continue, avec de brefs réveils pour manger voracement et une hypersexualité. La Belle au bois dormant se dit en anglais The Sleeping Beauty et les Anglais assimilent le Sleeping Beauty Syndrome au Syndrome de Kleine-Levin, or Belle n’a aucune super voracité ou sexualité si ce n’est "de nombreux enfants". Reste la narcolepsie qui touche de jeunes sujets d’un sommeil massif et inopiné. Belle tombe de sommeil sous l’effet d’une douleur intense, mais elle n’est pas la seule à dormir, tout le château dort. C’est une épidémie de sommeil ou épidémie d’encéphalite léthargique. Trois épidémies ont frappé le Danemark et l’Angleterre en 1657, 1658 et 1661 – avant le conte de 1697 – et ont pu marquer les esprits et inspirer l’histoire. Ainsi, la narcolepsie est la meilleure hypothèse, enrichie par les récits d’épidémies d’encéphalite léthargique.

Possédés, zombies, lutins, loups-garous, fantômes et Alice…

Les autres personnages de contes et leurs pathologies seront évoqués plus laconiquement. Les possédés ne sont pas habités par le diable, un démon ou Satan, mais souffrent d’aphasie de Wernicke, de mouvements anormaux involontaires (MAI), de crises épileptiques ou d’encéphalite auto-immune. Les zombies ne sont pas des morts-vivants, mais des intoxiqués à des cannabinoïdes de synthèse, très puissants et destructeurs, mettant à mal le cervelet, avec notamment une altération de la marche et de l’équilibre. Les lutins ne sont pas des créatures domestiques, mais des somnambules bruyants et amnésiques. Les loups-garous, magnifiés par Hobbes, ne sont pas des hommes maudits et des mutants nocturnes, mais des personnes frappées de maladies neurodégénératives poussant à la démence (la maladie d’Alzheimer est aussi appelée Syndrome du coucher de soleil ou sundowning en anglais). Les fantômes ne sont pas des esprits, mais des illusions visuelles et des sensations de présence nées de la douleur de disparus qui sont dans nos esprits. Alice au pays des merveilles n’est pas une jeune fille qui a bu et mangé des produits magiques et qui rétrécit et grandit, c’est Alice in Wonderland Syndrome (AIWS) ou Syndrome d’Alice au pays des merveilles, une altération de la perception visuelle frappant à 90% enfants et ados. D’autres personnages (sorcières, nains, elfes…) et syndromes (Angelman, Ophélie, Raiponce, Williams…) sont à découvrir. La Belle au bois dort-elle vraiment? est un livre passionnant et instructif à dévorer, tel l’ogre affamé, sans aucune modération.

Laurent Vercueil, La belle au bois dort-elle vraiment? neurophysiologie des contes de fées, Alpha, 18/10/2023, 1 vol. (256 p.), 9€.

Chroniqueur: Albert Montagne

La Belle au bois dort-elle vraiment ? Neurophysiologie des contes de fées

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