Enfance. Fragment I. Séance d’épilation.

Les effluves du sucre caramélisé cheminant vers mes narines me poussent à arrêter séance tenante toute action ludique qu’un lardon de dix ans entreprenait ou concoctait à et pour lui tout seul, car il s’inventait des jeux qui ne tenaient pas la route. Devant cette impasse, je resquillais les œufs du poulailler de la voisine quand soudain je me suis rappelé que c’était le premier samedi du mois: la séance d’épilation est en cours. Comme il m’était strictement interdit de rentrer à la cuisine lors d’une séance d’épilation, j’avais un plan sous-marin pour déflorer l’intimité cadenassée des femmes venues s’étriller les jambes pour trente minutes de temps: pilosité excessive oblige. Un des murs avait une meurtrière au bas duquel j’avais placé trois cageots de Coca Cola que j’avais grimpés aussitôt d’une agilité féline. J’étais un vrai lutin. Je n’avais jamais vu autant de femmes sous le même toit, à la même heure. Je devais me hisser sur le bout de mes orteils pour que la meurtrière, d’une quarantaine de centimètres, délove sous mes yeux un monde débordant de lubricité et de concupiscence. Accroupies par terre, cheveux rassemblés en chignon, caquètement qui concurrence celui du poulailler, moyenne d’âge trente ans, physiques fluets, jambes écartées, jupes retroussées au ras-le-bonbon, elles étiraient la pâte de sucre en ahanant et en agrémentant l’étirement de conversations oiseuses à bâtons rompus. Ma grand-mère, blonde aux yeux bleus, un peu replète, avait une peau opaline qui rendait ses poils imperceptibles. C’était avec énormément de tendresse que je l’observais. Elle était à la tête de cette assemblée qui allait bientôt s’arracher un cri de démence à chaque fois qu’elle détachait sans ménagement la pâte caramélisée de ses jambes. Une certaine Anna, arménienne et meilleure amie de ma grand-mère, suait à grosses gouttes en s’échinant à bien malaxer la matière pralinée. Anna appliquait avec diligence la substance sur sa cuisse et d’un coup sec, elle la retirait, ce qui lui expulsait le cri d’un chat qu’on égorgeait. J’étais à l’écoute d’historiettes fanées, fossilisées qui remontaient aussi loin dans leur passé que leur jupe à présent. La séance d’épilation ne manquait pas de tonus. C’était tout comme elles se trouvaient dans une galère où elles étaient des rameuses, reprises de justice. Occasionnellement, les femmes, d’un commun accord, cessaient toute activité pour reprendre leur souffle et siroter le café en dégageant un sifflement similaire à celui d’un train qui quitte la gare. Une sacrée cacophonie d’un assortiment de décibels à vous crever les tympans. Face à cette bombance de sensualité, je m’y donnais à cœur joie. Mes yeux filmaient des gros plans. Cette nouba fut interrompue quand j’avais senti une chaleur intolérable à l’oreille. C’était les doigts de mon grand-père, me prenant en flagrant délit, qui me frottait sadiquement le lobe de l’oreille tout en me faisant culbuter du haut de mon perchoir: tu n’es qu’un petit voyou.

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