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L’Orchestre philharmonique du Liban, dirigé par Harout Fazlian, a retenu, vendredi soir, l’attention du public libanais à travers une lecture de deux chefs-d’œuvre romantiques explorant le thème du destin.

Vendredi 14 juin. Une chaleur accablante pesait sur Beyrouth. Les derniers rayons de soleil, encore ardents à une heure pourtant avancée, semblaient figer le temps dans une langueur estivale. L’attente se faisait interminable en l’église Saint-Joseph des pères jésuites à Monnot. L’Orchestre philharmonique du Liban, sous la houlette de Harout Fazlian, s’apprêtait, à 20h30, à explorer le thème du destin, à travers deux pièces du grand répertoire romantique: l’ouverture de La forza del destino (La Force du destin, en français) de Giuseppe Verdi (1813-1901) et la Symphonie no 5 en mi mineur, op. 64, de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893). Des chefs-d’œuvre qui promettaient d’apporter une bouffée de grâce et de beauté à cette soirée suffocante.

Destin funeste

L’orchestre libanais entame l’ouverture verdienne avec les six exclamations entonnées par les cuivres. Celles-ci reflètent d’emblée la force inévitable du destin – d’où le titre de cet opéra – et créent une atmosphère acérée, lourde de présage. Le thème agité et menaçant qui suit annonce explicitement le sort funeste que préfigure le motif initial. Harout Fazlian tire de l’orchestre une interprétation appréciable qui aurait toutefois gagné à exploiter pleinement le potentiel expressif de l’œuvre. L’Andantino met en valeur le travail d’orfèvre des solistes: la clarinette, le hautbois et la flûte mêlent admirablement leurs timbres, sous le murmure des violons et les pizzicati des autres cordes, offrant une véritable réflexion sur la puissance dramatique et les richesses mélodiques de cette composition. Alternant entre ombre et lumière musicales, les thèmes se succèdent, effleurant l’auditeur sans le saisir, jusqu’à la conclusion tonitruante de l’Allegro brillante qui ne manque pas, cette fois-ci, de soulever certaines passions.

Harout Fazlian dirigeant l’Orchestre philharmonique du Liban. Crédit photo: Nabil Ismail

De la tragédie au triomphe

Venons-en à la Symphonie no 5 en mi mineur, op. 64, de Tchaïkovski. Les clarinettes énoncent un thème initial inquiétant qui deviendra le leitmotiv central dans chacun des quatre mouvements de la pièce. À l’instar de la Symphonie no 5 en ut mineur, op. 67, dite Symphonie du Destin, de Ludwig van Beethoven (1770-1827), cette œuvre russe illustre la transition narrative de la tragédie au triomphe. Harout Fazlian porte un soin particulier à l’architecture générale des mouvements, mais relègue au second plan les progressions dynamiques, notamment au niveau du premier mouvement, Allegro con anima. Certains passages de ce dernier, marqués fortissimo, pèchent également par un manque de précision voire de synchronisation. Cependant, l’attention portée par le chef à la pâte sonore de l’orchestre rend le résultat particulièrement convaincant.

C’est dans le mouvement lent, Andante cantabile, que le lyrisme atteindra son paroxysme. La mélodie déclamée par le cor est d’une telle force évocatrice, qu’elle émeut jusqu’aux larmes. Le tempo adopté permet de pleinement apprécier le jeu de coulissage des timbres et le dialogue élégiaque entre le cor et les bois, d’une part, et les cordes d’autre part. Il convient d’applaudir généreusement les clarinettistes qui sont parvenus à livrer une lecture suggestive, riche en couleurs et en émotions. L’alternance fluide entre les passages lyriques expansifs et les déchaînements sauvages de l’orchestre ajoute une dimension théâtrale captivante. Dans le troisième mouvement, Allegro moderato, l’orchestre progresse sur un rythme de valse, évitant toute rupture brutale et mettant en valeur divers dialogues instrumentaux, notamment entre le violon et l’alto. Ce mouvement se conclut par une répétition du leitmotiv central, couronnée par six accords fortissimo.

Le finale s’ouvre de nouveau sur le motif du destin. La tension monte progressivement, s’exaspère et culmine dans une lutte finale féroce. Le leitmotiv revient une dernière fois, mais sous la forme d’une marche triomphale. La bataille est gagnée. Tout le monde aurait mis la main à la pâte pour cette victoire tchaïkovskienne. Même le destin.