Rien n’a jamais été simple, les crises se succèdent à un rythme ininterrompu, l’économie vacillante impénétrable fauche les illusions de prospérité éphémère, la corruption endémique nauséabonde ravage le tissu social, il ne reste que l’angoisse et l’incertitude.  L’incertitude est un vertige continu. Dans l’imaginaire culturel collectif, le vertige est une scène de film allégorique. Une main solide et tremblante agrippée à la rampe d’un immeuble, l’homme est suspendu dans le vide avec le regard humide de la conscience plongé dans le néant sidéral de l’inconnu. Ma première appréhension du vertige a donc été cinématographique, un tableau vivant où James Stewart est miraculeusement retenu par la force d’une main au-dessus d’un immeuble.

On reconnaît les grandes œuvres artistiques à leur portée intemporelle, elles survolent les époques, se détachent subtilement des considérations sociales et ciblent directement l’essence de l’humanité et l’émotion existentielle commune à tous les peuples face à l’adversité de l’Histoire, au fatalisme injuste de la géopolitique. Comment lutter sans armes ni violence contre le poids écrasant de l’injustice, sinon par la pensée humaniste et courageuse, sinon par la compassion naturelle instinctive, presque animale? La compassion est l’énergie innée qui transcende nos craintes séculaires, qui s’élève en apesanteur irréelle pour défendre ce qui est juste et permettre à l’opprimé de s’exprimer et au souffrant de s’apaiser.

C’est en cela que Vertigo de Hitchcock est un chef-d’œuvre d’humanisme au cinéma; il met en exergue la fragilité des émotions et glorifie la faiblesse attendrissante de l’humanité et la force du combat juste. Le personnage de James Stewart ne se raccroche à la vie que grâce à une main tremblante; la pesanteur le pousse inévitablement vers la chute camusienne absurde et superbement romantique, son esprit est saoulé par le vertige de l’inconscient freudien, son regard se fond dans l’expressionnisme horrifique du cinéma allemand, mais contre toute attente, contre toutes les lois élémentaires de la nature, il résiste.

Il résiste au vertige qui le hante jusqu’à la mort, non par héroïsme orgueilleux infantile, mais parce que la résistance est un devoir moral. La résistance est un tourbillon fougueux et dangereux, elle met en péril les convictions séculaires glorifiantes de la nostalgie délétère. La résistance est un combat franc et méticuleux contre un abysse labyrinthique parsemé d’impasses moralisantes. La résistance est un vertige, une spirale belle et effrayante qui se dessine subtilement dans la magnifique chevelure double, blonde et brune de Kim Novak, solide et solitaire comme un roc dans le désert artistique d’un musée abandonné. La résistance est la recherche de l’absolu inaccessible, la quête vaine de la vérité imparfaite mais sincère, le besoin naturel de la connaissance objective qui écarte l’absolutisme dogmatique des idéologies tyranniques qui prétendent la purification de l’être humain et de la pensée.

Vertigo est une œuvre onirique où la quête de la vérité est semée d’embûches, d’incertitude émotionnelle. Le flottement est perpétuel, la peur traverse le film en subliminal, la faiblesse des personnages dérange, mais, finalement, un besoin inexplicable nous submerge comme un flot incontestable; résister pour connaître, résister pour transmettre, malgré la frayeur, malgré la peur, malgré les larmes…

Résister dans la joie, comme un message d’espoir.