Tout au long de cette série, j’ai analysé les diverses manifestations religieuses dans la mode, qu’elles soient inspirées par la foi des créateurs ou la symbolique chrétienne. Nonobstant, il n’a pas été débattu du bien-fondé et de la bienséance de ces représentations. L’utilisation de symboles et de vêtements chrétiens peut-elle être légitime? Ou est-ce un blasphème? L’industrie de la mode a souvent justifié ces appropriations comme des hommages au christianisme, voire une "re-glorification" et une "romantisation" de l’Église. On ne peut nier que le désir de provocation et de dérision a été un facteur important dans l’émergence de cette tendance.

L’association entre mode et religion ne fait pas toujours l’unanimité au sein de la communauté chrétienne. Le Met Gala 2018, qui reste l’événement le plus marquant quand il s’agit de représentation religieuse dans la haute couture, a fait l’objet d’une attention considérable et d’une critique d’autant plus sévère. Alors que les inspirations religieuses étaient auparavant subtiles, cachées dans le pli d’un drapé ou dans la coupe d’une robe, le Met Gala 2018 a vulgarisé et popularisé les symboles religieux dans la mode, au point que le christianisme est devenu une tendance, quelque chose que l’on achète pour l’oublier la saison suivante. Cette commercialisation de la croyance chrétienne retentit comme une profanation et une désacralisation de l’Église pour grand nombre de fidèles. Mais ils ne blâment pas seulement les maisons de couture. Pour eux, l’Église participe aussi à sa propre chute en coopérant avec "l’ennemi". Le Vatican ayant prêté de nombreuses pièces d’art pour l’exposition du Met, le voilà complice de cette entreprise capitaliste. La normalisation de la mode religieuse signerait donc une forme de déclin de l’Église, et non sa modernisation comme elle l’espérait. Dans une interview pour le journal Il Giorno, le père Jean-Bernard déplore l’utilisation du religieux dans la mode. Selon lui, c’est la preuve du manque de respect de la société pour le sacré, ainsi que la corruption des croyants qui acceptent ce genre de représentations.

Pour autant, le débat ne s’arrête pas là. L’utilisation du religieux dans la culture n’est pas qu’une question de mode. Le débat prend désormais une réelle tournure sociétale; les différents "costumes" exhibés lors du Met Gala ayant entraîné la création de l’hashtag #MyReligionIsNotYourCostume sur Twitter qui clame l’appropriation culturelle. Seulement un an plus tard, en 2019, Giuseppe Veneziano, un peintre sicilien, faisait la une des journaux nationaux italiens pour avoir représenté Jésus sur la croix portant un slip léopard Dolce & Gabbana. Le symbole politique prend le pas sur le spirituel, devenant provocateur. Cependant, ces réinterprétations de l’imagerie religieuse catholiques peuvent-elles être considérées comme blasphématoires si elles sont implicitement approuvées par l’Église? De plus, peut-on réellement parler d’appropriation culturelle, lorsque la plupart des créateurs de mode en question sont eux-mêmes croyants?

La ligne entre la liberté d’expression et la provocation est ténue. En France, le droit au blasphème, qui offre un cadre juridique protecteur aux polémistes, se voit menacé par l’émergence d’un "wokisme" extrémiste. L’avenir de la liberté d’expression s’assombrit de jour en jour. Les caricatures et l’innovation créative ne sont pas toujours néfastes, mais tentent simplement de déstabiliser notre conformisme bien-pensant. Accusée à tort de superficialité, elles bousculent les codes de la société en introduisant le sacré dans les créations. La magnificence de l’art chrétien, la vénération que le christianisme inspire à travers le monde, ainsi que sa stature divine représentent des sources d’inspiration infinies pour les créateurs. Il est intéressant de se remémorer que lors de leur réalisation, les fresques de la chapelle Sixtine firent scandale en raison du nombre de figures masculines nues illustrant des scènes bibliques. Dans la fresque du jugement dernier, des drapés furent rajoutés à la demande de l’Église pour cacher les sexes masculins. À l’époque, le nu choquait, et maintenant c’est en raison du vêtement que l’on s’insurge. Quelle ironie! Avec la baisse de fréquentation des églises, le renouveau de la représentation religieuse rajeunit le Christianisme, présentant une Église compatible avec la vie du XXIe siècle. Je me refuse à croire que l’art puisse être blasphématoire. La provocation ne peut manquer de respect à sa propre source d’inspiration. Elle provoque, bouscule les codes, mais ne dénigre pas. Que les designers soient religieux ou non, le fait qu’ils utilisent des symboles religieux dans leurs créations prouve simplement le respect et l’admiration qu’ils ont pour le christianisme.