" De la musique avant toute chose ", préconisait l’écrivain et poète français Paul Verlaine dans son Art poétique. Ainsi soit-il. Moments Sostenuto est une chronique musicale qui tend à valoriser les ardents défenseurs de la musique, cette " brûlure du sensible sur les pas de l’ouvert ", comme le chante splendidement le poète libano-français Alain Tasso. Telle la pédale d’un piano soutenant la note d’une gamme, Moments Sostenuto cherche à pérenniser l’œuvre d’un compositeur, le labeur d’un musicien ou encore la passion d’un rare mélomane, dans l’obscurité de ces jours présents.

" L’art est d’abord distance, parce qu’il prend le monde au-dessus de lui-même, le contemple au-dessus du " réel " ", écrivit le critique et philosophe français Marcel Beaufils. La musique, telle une déflagration lumineuse, transgresse cet écart étincelant, rutilant, flamboyant, et extirpe, en un rapt à peine muet, les bienheureux récepteurs, de leur hic et nunc et les hisse à l’univers intemporel, nimbé d’une promesse de révélation. L’art musical porte ainsi le témoignage du sublime avènement de l’inconnu qui se heurte, inébranlablement, à l’intangible réalité. Les artistes musiciens, ces messagers du beau, transcendent, à travers la verve de leurs instruments, l’ineffable de ce mystère, en suscitant une pléthore d’impressions et d’émotions universelles. Le pianiste et chef d’orchestre argentin de renommée internationale Dario Ntaca, incarne, avec superbe, la vocation d’artiste qui se sublime dans la dextérité de son jeu, pianistique soit-il ou orchestral. Il revient, pour Ici Beyrouth, sur les moments forts de sa carrière, sa rencontre et sa collaboration avec Martha Argerich, et sa vision de la musique d’art européenne.

Dario Ntaca : la musique ne peut être que synonyme d’harmonie

Syncrétisme spirituel
Empreint d’un mysticisme visionnaire, Dario Ntaca est un virtuose en quête d’un syncrétisme spirituel. De ce fait, la musique ne peut être, selon lui, que synonyme d’harmonie, une résultante inéluctable de l’harmonie parfaite du cosmos. " L’ambition de tout être humain, en tant qu’esprit libre, est d’atteindre cette harmonie. Tout a été parfaitement conçu pour l’Homme dans ce monde ; c’est à lui, après, de choisir s’il veut vivre dans la lumière ou dans l’obscurité ", affirme-t-il. Convaincu, à juste titre, de l’existence d’une communication spirituelle entre l’instrument musical et son dompteur, mais aussi entre l’artiste et sa société, le maestro argentin estime qu’il est primordial de " se concentrer sur tout ce que la musique peut nous offrir ". C’est, en effet, cet itinéraire musical, frôlant intimement le sacré, qu’il suivra depuis sa plus tendre enfance.

Né dans une famille de musiciens, Dario Ntaca est le fils d’Alejandro Ntaca, un éminent pianiste et professeur de lieder au théâtre Colón de Buenos Aires, et de Marta Rossi, une pianiste de talent qui a d’ailleurs été son premier professeur de piano. Son enfance a donc été baignée dans un univers où la musique savante avait une place fondamentale. Quelques années plus tard, son père se charge de lui inculquer les rudiments de la performance pianistique avant que le légendaire Earl Wild n’en prenne la relève. A 19 ans, il déménage à New York pour poursuivre ses études de piano avec Wild et de direction d’orchestre avec Vincent La Selva au Julliard School, le conservatoire le plus célèbre des Etats-Unis, puis avec Germán Diez, l’assistant de l’incontournable Claudio Arrau, à l’Université d’état de New York. Cette ville laissera une empreinte indélébile dans l’esprit du pianiste argentin : il s’agit de la ville où le troisième concerto pour piano en ré mineur, de Sergueï Rachmaninov, a été créé, le 28 novembre 1909, sous la houlette de Walter Damrosch, et réinterprété, deux mois plus tard, sous la baguette même du Gustav Mahler.

" Du moment où j’ai mis les pieds à New York, ce concerto commença à me hanter, il n’arrêtait pas de rôder dans mon esprit ", se remémore-t-il avec nostalgie. Le jeune artiste décide, finalement à 22 ans, d’interpréter ce joyau post-romantique dans le cadre d’un concours de piano organisé par l’Université d’état de New York. Sa remarquable virtuosité, exaltée par un don insigne jusqu’à une sublime féerie, le mènera à remporter, deux ans plus tard en 1985, la médaille d’argent au concours international de Mozart au Colorado.

Entre l’optimisme de Mozart et le sérieux de Rachmaninov ?
Il n’est pas à cacher que Mozart et Rachmaninov occupent une place privilégiée dans le cœur de Ntaca dont le répertoire comprend d’une part l’intégralité des œuvres pour piano (ou deux) et orchestre du russe, et d’autre part l’ensemble des vingt-trois concerti pour piano et orchestre de l’autrichien. " Mozart est un compositeur optimiste, il jouit d’un humour qu’on retrouve rarement chez Rachmaninov. Les œuvres de ce dernier sont surtout caractérisées par une sincérité qui émane du cœur et qui va droit au cœur ", explique Dario Ntaca qui souligne, clairement contrarié, qu’entre les années 1950 et 1980, les œuvres du compositeur post-romantique ont été largement critiquées, voire même injustement méprisées. Le maestro argentin indique, toutefois, que l’optimisme de Mozart et le sérieux de Rachmaninov peuvent parfois cohabiter en parfaite symbiose. Cette dualité, amplement ancrée dans la tradition argentine, joindrait également le tango, cette " pensée triste qui se danse " selon le célèbre compositeur argentin Enrique Santos Discépolo, aux danses traditionnelles beaucoup plus optimistes de Buenos Aires : " Les Argentins sont habitués aux deux sentiments ! "

Avec la célèbre pianiste de renommée internationale Martha Argerich

Un répertoire diversifié
Effleurant majestueusement la magnificence pianistique, les interprétations de Dario Ntaca sont caractérisées par l’alacrité rythmique séduisante, notamment dans les concerti de Mozart; l’éloquence, si personnelle, du phraser dans les concerti de Rachmaninov (notamment les deuxième et troisième) et la liberté " improvisatrice " ponctuée par l’impétuosité romantique sublimée, particulièrement dans les concerti de Brahms (plus spécifiquement le deuxième concerto). Un répertoire diversifié qui englobe, selon lui, toutes les " époques grandioses du piano " allant des chefs-d’œuvre intemporels de Jean-Sébastien Bach jusqu’à l’exposition du langage post-romantique, avec Sergueï Rachmaninov, Sergueï Prokofiev et Maurice Ravel, entre autres, qui fait aboutir le piano à " ses limites ", tout en passant par les trésors monumentales des romantiques du XIXe, dont Robert Schumann, Fréderic Chopin, Franz Liszt, mais aussi Piotr Ilitch Tchaïkovski, Gabriel Fauré, Alexandre Scriabine et Johannes Brahms. Ses incommensurables dons pianistiques le mènent à se produire en solo ou en duo (principalement avec Martha Argerich) dans des villes comme Berlin, Paris, Belgrade, Bucarest, Singapour, Shanghai, Tokyo, Los Angeles et New York, où ses interprétations sont acclamées à l’unanimité par les critiques, le public mais également des artistes de grand renom dont Martha Argerich.

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