Qui sont les Toltèques et quelle culture ont-ils laissé en héritage aux humains? Les grandes ténèbres que traverse le peuple libanais depuis bientôt trois ans, sans compter toutes les petites – mais non moindres – qui les ont précédées au fil de décennies, pourraient bien nous ramener à des civilisations anciennes auxquelles nous puiserions quelque sagesse en vue de persévérer dans notre lutte pour la survie. Peut-être réussirions-nous enfin à faire advenir la lumière, celle d’un Liban autre…

Qui sont les Toltèques ?

Selon la mythologie nahuatl, les Toltèques sont à l’origine de toutes les civilisations. Ce sont les maîtres bâtisseurs du monde, les artisans de la vie et les détenteurs de la sagesse. On leur attribue une métropole légendaire, Tula (située dans l’actuel État mexicain d’Hidalgo), le nom même de la capitale désignant en nahuatl l’essence primordiale de toute civilisation. Aussi, en voulant affirmer leur supériorité sur tout autre peuple du monde, les Aztèques, peuple amérindien de l’un des groupes nahuas, s’en sont-ils érigés comme les dignes et uniques descendants.

Toutefois, en dépit de la volonté de la mythologie de les sédentariser, en leur affectant une métropole, les Toltèques étaient en mouvement, notamment à l’endroit de l’exercice de leur culte, lequel était de nature cosmique, lié aux éléments constitutifs de l’univers, en l’occurrence l’air, l’eau, la terre et le feu, et plus particulièrement étayé par la figure divine de Quetzalcóatl. Celle-ci, représentée par un serpent à plumes, sorte de serpent-oiseau, à l’instar de celui de la Genèse hébraïque, avant le péché originel, jouxte d’ailleurs les opposés: la caractéristique chtonienne du serpent et celle de l’envol et de l’apesanteur au travers des plumes. Dans cette optique, on penche à croire que la quintessence de toute civilisation serait bien donc la rencontre harmonieuse des contraires.

Quoi qu’il en soit, on peut lire sous la plume du Franciscain espagnol Bernardino de Sahagún (1499-1590) que "les Toltèques étaient sages, [que] leurs œuvres étaient toutes bonnes, toutes parfaites, toutes admirables, toutes merveilleuses, [qu’ils] étaient justes, grands, très pieux et riches" (Codex de Florence), toutes les qualités évoquées provenant bien évidemment de leur capacité originelle d’être les maîtres du monde (le lieu), de la pensée (la réflexion) et de la vie (l’action).

Représentation de Quetzalcóatl – Extrait du Codex Borbonicus.

Sagesse toltèque

De la sagesse toltèque nous sont parvenus cinq "accords", rendus populaires grâce au chamane mexicain Don Miguel Ruiz (1952-), qui se dit descendant des Nahuas et dont la vie bascule, un jour, dans une salle d’opération, à la suite d’une expérience de mort imminente. Cette expérience l’aurait, en effet, incité à mener une quête du sens de l’existence dans la sagesse toltèque même. Les accords dont il est question fonctionnent à la manière des mantras hindouistes ou bouddhistes, sorte de phrases sacrées à répéter en vue de s’en imprégner profondément et d’accéder à la lumière, voire à l’illumination.

Accord toltèque 1: Que votre parole soit impeccable

Parce que la parole peut être futile, insensée, mensongère, double, assassine, il faut en prendre conscience et la maîtriser afin de ne l’employer que pour dire ce que l’on pense vraiment, en toute intégrité.

Accord toltèque 2: Quoi qu’il arrive, n’en faites pas une affaire personnelle

Parce qu’on ne saurait être la cause des comportements d’autrui quels qu’ils soient, que les autres ne pensent, ne parlent ni n’agissent que selon leur représentation subjective du monde et qu’il est nécessaire de s’en distancier, de s’en prémunir pour se protéger idéalement de toute souffrance, il faut éviter de faire une affaire personnelle de ce que pensent, disent, font les autres.

Accord toltèque 3 : Ne faites pas de suppositions

Parce que les suppositions sont du même ordre que la médisance, qu’elles sont source de préjugés que l’on finit par croire et qui sont d’excellents moyens de se fourvoyer, il faut mettre les choses en pratique, en éprouver la validité et la valeur et s’exprimer sur elles, dès lors, de manière claire et assurée.

Accord toltèque 4 : Faites toujours de votre mieux

Parce qu’il n’y a pas d’obligation de réussir – ce serait de la tyrannie – et qu’il est nécessaire d’éviter de se juger, de ressentir de la culpabilité, de la honte, d’éprouver des regrets et des remords, il faut agir en faisant toujours de son mieux, l’action étant le seul véritable levain de l’évolution de l’individu.

Accord toltèque 4 : Soyez sceptiques, mais apprenez à écouter

Parce qu’il ne faut ni se croire soi-même aveuglément, ni personne d’autre, et qu’il faut mettre à contribution le doute dans tout ce que l’on voit et entend, il faut observer, rester tout le temps à l’écoute, d’une écoute active pour atteindre aux vrais messages susceptibles de nous rendre constructifs et sages.

Don Miguel Ruiz

Libanais!

Libanais! Que notre parole soit impeccable tout au contraire de celle de nos gouverneurs. Qu’elle n’habite le temps, l’espace, le mouvement que lorsqu’elle se sait juste et invincible. Si, jusque-là, elle n’a encore pas réussi à se purifier des miasmes putrides de nos meneurs et de nos anciens chefs de guerre dont le verbe est toujours déjection, infection et contamination, que cet échec ne soit pas source de découragement, de désespoir. Pour qu’elle devienne impeccable, la parole se forge et se sculpte longtemps par le burin du discernement avant de s’énoncer. Que notre parole soit impeccable pour qu’elle puisse, enfin!, nous affranchir de tout assujettissement, en clouant sur place, voire en pétrifiant – n’en déplaise aux Toltèques pacifistes et sages – tous ceux qui nous souillent par leur vomi de mensonges, d’impostures, de falsifications, de meurtres de toutes sortes demeurés jusque-là impunis.

Libanais! Quoi qu’il arrive, n’en faisons pas une affaire personnelle. Parce que nous ne sommes pas nos circonstances. Nous ne sommes pas nos conditions de vie actuelles. Nous ne sommes pas les conséquences désastreuses qui en génèrent. Nous ne sommes en rien le reflet de ceux qui nous acculent à notre situation actuelle, qui disent nous représenter, nous guider, défendre nos intérêts, parler en notre nom et décider pour nous. N’en faisons pas une affaire personnelle pour ne pas que l’humain et la fange se mélangent, pour ne pas que la personne et la persona fusionnent et pour que le jour vienne où l’Égo entouré de ténèbres cède la place au Soi entouré de lumières et que l’affaire personnelle soit, enfin !, une affaire nationale.

Libanais! Ne faisons pas de suppositions. Apprenons à proscrire les raccourcis et à leur préférer le savoir éclairant, la quête de la connaissance qui nous édifie et nous rend robustes. Ne nous contentons pas de désinformation, de médisance, de répétition, de haine, d’obscurantisme; ne nous nourrissons pas d’illusions; ne nous hâtons pas dans le jugement. Ne faisons pas de suppositions, abandonnons nos pseudo-certitudes et optons pour la posture du chercheur: observons, expérimentons, comprenons, assumons, décidons et, enfin!, agissons. Pour que notre action soit à la fois solidement ancrée dans le sol et vertigineusement élevée dans les airs, tout à l’instar de Quetzalcóatl. Qu’elle soit celle qui fera s’abattre, du haut des nues sur les plateformes de la honte, la guillotine de la justesse et de la justice.

Libanais! Faisons toujours de notre mieux. Mais faisons! Car seule l’action fait des femmes et des hommes des êtres dignes de leur humanité. Faisons de notre mieux, car ce qui compte est moins le résultat que le parcours traversé en tant que tel, lequel permet de construire, enfin!, du sens, en donnant à notre existence dans ce pays la haute valeur d’une résistance positive et d’une rencontre harmonieuse et authentique des altérités.

Libanais! Soyons sceptiques, mais apprenons à écouter. Abandonnons nos préjugés, nos enseignements surannés que nous tenons pour patrimoniaux, que nous considérons comme un précieux héritage. Apprenons à nous ouvrir, à écouter, à nous laisser surprendre et émerveiller par une possibilité différente et totalement renouvelée de notre libanité. Apprenons à écouter, bien au-delà des ondes plates de nos journaux télévisés et des discours trompeurs et fielleux, pour que nous puissions un jour, enfin!, nous faire entendre.

Libanais! Soyons, à l’instar des Toltèques, les bâtisseurs pionniers de notre civilisation.

Car, celle-ci, reconnaissons-le, est toujours une abstraction…

https://www.carep-paris.org/publications/varia/analyses-politiques-varia/liban-causes-et-perspectives-de-la-revolte/